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  • Bonne année

    Nous sommes le 13 Janvier et je trouve que c'est un jour essentiel pour se souhaiter une bonne année !

    J'aimerais souhaiter une bonne année à mes amis catholiques qui ont manifesté aujourd'hui à Paris et à qui je ne parviens pas à jeter la pierre. Leurs inquiétudes concernant la famille, la perte des repères, les difficultés à vivre de certains jeunes, le caractère mortifère d'un trop grand attachement à l'égalité de tous à tout prix (qui va de pair avec l'injustice), j'en vois les conséquences dans ma pratique quotidienne d'enseignante, chez les jeunes qui hantent mes classes, et manifestent leur colère, parfois sans espoir... Ils ne sont pas fils ni filles d'homosexuels, mais un cadre familial leur manque, un horizon aussi, et ils sont déjà blessés et en souffrance. Comment ne pas entendre les inquiétudes de ceux qui portent ce souci de la vie et de la croissance des êtres face à l'immense gâchis de notre jeunesse ?

    J'aimerais souhaiter aussi une bonne année à mes amis, qui revendiquent l'égalité comme un trophée des luttes si ardentes qu'ils ont menées pour protéger, défendre, se défendre du regard de l'autre, de la cruauté des jugements terribles et mortifères portés sur leur personne, leur singularité. Pour sentir moi-même dans mes combats combien il est difficile de maîtriser parfois, l'amertume que suscitent les critiques cinglantes et le refus de comprendre... Ils ne sont pas tous homosexuels mais ils s'identifient à ceux qui subissent le rejet et la vindicte populaire... aspirent au bonheur, mais pas seulement ! Ils ne sont pas hédonistes, relativistes, idéologues : ils croient à la responsabilité et à l'engagement devant l'humain.

    J'aimerais leur souhaiter que cette année ne les éloigne pas davantage les uns des autres : les deux tracés de leurs chemins peuvent encore se croiser à condition qu'ils ne feraillent pas sans voir qu'au fond leurs combats se ressemblent !

    Je voudrais ici parler de Manon qui termine ces jours-ci un mémoire relatant et analysant sa mission de coopération de 9 mois au TOGO sous l'angle de la Rencontre et de l'interculturalité. Elle développe dans cet écrit combien la perception du développement durable peut être considérablement réajustée grâce à un travail très précis et minutieux sur soi-même, au repérage de ses peurs, de ses préjugés qui constituent des freins importants dans la mise en oeuvre d'un travail collaboratif menant à un développement équilibré. Elle rapporte aussi comment la Rencontre nécessite d'entrer dans le temps de l'autre, de se nourrir de ses idées, d'accepter de s'exposer soi, de s'oublier partiellement, pour que la co-créaton soit possible. Elle indique enfin, la nécessité d'un travail participatif où les attentes et les besoins de chacun, et au premier chef des populations bénéficiaires, soient pris en compte pour l'élaboration et le suivi d'un projet durable.

    Manon a 20 ans : elle n'est pas catholique mais missionnaire, oui ! Son regard et son expérience sont des clés pour batir le monde qui vient. A un certain moment de son mémoire, elle explique qu'au Togo, d'une éthnie à l'autre, d'un village à l'autre, les pratiques culturelles ne sont pas les mêmes, que les salutations et les moeurs diffèrent, et qu'en plus de la médiation culturelle entre l'Afrique et l'Occident, il faut entreprendre celle qui permet, en amont du projet, de créer l'échange entre deux villages bénéficiaires.

    Le vivre-ensemble garanti par la République est notre projet commun : les ethnies françaises doivent aussi trouver les chemins de la Rencontre mutuelle. Ce projet de loi au forceps, qui correspond soit-disant à nos moeurs, est une antiquité du point de vue de la méthode : pour faire passer une loi, en France, il ne faut pas la discuter ! On applique le programme ! L'opposition n'a pas été élue, elle se tait point, terminé, circulez, y a rien à voir ! Nous arrivons aujourd'hui au terme de ce processus induit par nos institutions... La fracture devient béance, le débat n'est plus qu'échange d'anathèmes caricaturaux, la pensée est mise à mal de façon quasi-généralisée, de part et d'autre. Quand le pouvoir s'érigera-t-il enfin en médiateur, garant de la réalisation participative d'un projet collectif et communautaire ?

    Si c'est pour l'engagement qu'on se bat de part et d'autre, où est le problème ? Je lis des commentateurs qui raillent les couples homosexuels de vouloir rejoindre le soit-disant modèle bourgeois qu'ils conspuaient il y a trente ans. Et bien, réjouissons-nous ! Ils veulent se promettre fidélité et remplir leurs devoirs de parents à l'égard d'enfants qui sont déjà là ? Réjouissons-nous de ce changement de vue qui les dispense de s'enfermer dans la constante révolte !

    Il n'y avait sur ce débat aucun ennemi extérieur influent : la finance s'en fout, les banquiers européens sont loin... On avait la possibililité de co-construire et de mettre sur la table (non pas les revendications) mais les aspirations des uns et des autres. On définit cette loi comme progressiste. Mais si l'on acceptait de revoir la définition de ce que recouvre la modernité ou le progrès on pourrait s'entendre sur le fait qu'il ne peut pas aujourd'hui y avoir progrès ni social, ni républicain, en faisant passer de force une loi progressiste contre la minorité de ceux qui sont contre, parce qu'ils n'ont pas voté pour cette loi. La modernité, ce pourrait être enfin, le changement de la méthode qui va jusqu'au changement, et qui emporte ceux qui étaient réticents par principe, parce que c'est dans la Rencontre seulement que tout devient possible !

    "Mais tu rêves, tu verses encore dans la bisounourserie, il y a des méchants qui ne voudront jamais faire aucune concession !" Evidemment ! Et alors ? Il y a à côté d'eux l'immense majorité de ceux qui veulent s'entendre et pour qui la conciliation est pratique quotidienne dans la relation à l'autre... Pour dix articles médiatiques caricaturaux, il y aurait 150 discussions de fond entre copains, au sein de commissions de travail, à l'Assemblée Nationale. Il y aurait, parce qu'aujourd'hui, il n'y a pas : enfin, je crains que la société de classes, de chapelles et de strates, ne soit pas un fantasme seulement, et qu'elle soit majoritairement responsable, dans les segmentations mortifères qu'elle engendre, du mal-être des uns autant que des blessures des autres.

    Cette réforme permettant de donner à chacun la possibilité d'un engagement, aurait pu être co-construite, elle aurait pu relever d'un développement durable de notre société et de son vivre-ensemble. Ce n'est pas l'option qui a été choisie, car c'est dans le temps long qu'il faudrait laisser s'installer la relation, et les politiques sont toujours pressés d'aller vite, de récolter les fruits avant d'avoir semé les graines, de donner des gages à ce qu'ils croient être le bien, le bon et le juste, sans s'entourer de philosophes pour le définir d'abord, persuadés qu'ils sont d'emblée, parce qu'ils croient maîtriser l'Histoire, qu'il y a un bien de droite qui diffère totalement du bien de gauche et/ou inversement...

    Je voudrais encore pour conclure donner la parole à Elena LASIDA, chercheuse en économie sociale et solidaire. Son livre fait partie du top 10 de mes lectures 2012 : il donne à penser, à espérer et à croire. Je ne peux que le recommander à tous ceux pour qui l'avenir peut encore sourire parce qu'ils se méfient de la peur qui enferme.

    «Pour qu’il y ait de l’événement, il faut de la fêlure. Pour qu’il y ait émergence du nouveau, il faut du vide. Pour qu’il y ait un « autre » possible, il faut un « même » fragile. La fragilité ça casse, mais sans cassure, pas de nouveauté.

    C’est aussi cela l’événement : l’expérience du collectif qui réunit sans uniformiser, l’expérience du public qui devient acteur, l’expérience du discours qui devient communion. 

     L’événement, c’est la parole ou l’expérience qui nous déplace et nous surprend. Il ouvre un nouveau possible. Il n’était pas prévu, ni attendu. Mais il arrive comme une rafale subite de vent qui décoiffe et déstabilise. Dans la sécurité et la protection totales, le vent ne rentre pas. C’est à travers la fêlure qu’il souffle.»

     Elena LASIDA, le Goût de l'autre, Albin Michel, Février 2011

    Non Sodome et Gomorrhe ne sont pas nécessairement au bout du chemin ! Relevons nos manches et les défis qui se présentent ! Je veux me battre avec mes amis catholiques pour le respect de l'humilité et de la pauvreté évangéliques qui sauvent le monde. Je veux me battre avec mes autres amis pour que nos fragilités soient reconnues comme des lieux de vie et de création. Bonne année 2013, dans la richesse de nos fêlures : elles laissent de la place à l'Autre, à la confiance, à la parole échangée puis donnée qui rend stable le monde et attirante, la route inouie à parcourir ensemble...