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  • Suppression du dispositif alternance en 4ème : un marqueur idéologique qui ne pénalise pas seulement les élèves.

     

    Nous avons reçu cette semaine le mail de l'Inspecteur en charge de l'orientation qui a confirmé ce que nous anticipions depuis la lettre d'orientation de juin 2012 : le dispositif alternance que nous avons mis en place au collège voilà 4 ans, et qui a fait ses preuves, est supprimé à compter de la rentrée prochaine. La cause en est mentionnée en toutes lettres dans la circulaire de préparation de la rentrée 2013 : " Il convient d'écarter toute forme de relégation et d'orientation précoce. C'est la raison pour laquelle toutes les formes d'alternance sont à présent proscrites pour les élèves de collège de moins de 15 ans, et notamment les dispositifs d'alternance en classe de quatrième qui avaient été introduits par la circulaire n° 2011-127 du 26 août 2011"

     

    Comment ne pas s'insurger contre une telle insertion relevant de l'idéologie et qui témoigne d'une méconnaissance absolue du ministre et de son cabinet des potentialités énormes de ce dispositif. Nous lisons en effet un peu plus haut dans la même lettre et dans la partie concernant le collège, la volonté forte du ministre de combattre le "décrochage scolaire", notamment par la mise en place d'un référent "décrochage scolaire" dont les missions vont consister à instaurer des liens avec différents partenaires afin de lutter contre le décrochage dont le symptôme repéré ici est l'absentéisme.

     

    " Il s'agit de redonner aux élèves les plus en difficulté le goût de l'école et de mieux les accompagner dans la préparation de leurs choix en matière d'orientation, en leur proposant éventuellement un tutorat.", explique la circulaire. Et c'était bien justement pour nous le seul objectif assigné collectivement au dispositif "alternance" en 4ème au sein de notre établissement et d’autres qui le pratiquent. Reposant sur le volontariat de l'élève en risque de décrochage, à tout le moins en grosses difficultés scolaires, le dispositif propose 3h supplémentaire par semaine. Nous l'assimilons à une option. Certains élèves font 3h de latin, d'autres font 3h d'alternance. Sont dispensées 1h de math et 1h de français pratiques, appliquées au monde professionnel : réalisation d'un journal, montage et réalisation d'une sortie culturelle, travail sur des situations de calcul de surface à peindre, rénovation d'une salle, il s'agit pour les enseignants de rendre concrètes leurs matières, d'aider à la prise de conscience que ce qu'on fait au collège, c'est utile ! La troisième heure, la plus appréciée des élèves, concerne le travail sur le projet d'orientation. Cette année, nous avons la chance de pouvoir travailler en barrette 4ème/3ème, ce qui rend plus visible pour les 4èmes le pallier d'orientation de la fin de 3ème. L'année scolaire est séparée en plusieurs phases : connaissance de soi, accompagnement à la recherche de stages, découverte des métiers, identification des formations et contact avec les lieux de formation. 3 stages sont réalisés par les élèves dans l'année lors de trois semaines situées avant les périodes de vacances scolaires : nous les poussons à diversifier les lieux de leurs stages afin de ne pas les enfermer dans un projet trop ciblé.

     

    Au terme de l'année de l'année, les élèves de 4ème qu'ils aient ou non pratiqué le dispositif ont le choix entre plusieurs orientations : 3ème générale et 3ème préparation à la voie professionnelle (ancienne 3ème pro puis DP6), nous ne poussons aucunement les élèves d'alternance dans une direction ou dans l'autre. Nous les avons suivis tout au long de l'année, nous avons accompagné leurs tâtonnements, nous les avons vu changer, évoluer, se responsabiliser dans la prise en charge de leurs recherches de stage ; ils sont souvent revenus de stage avec un nouveau regard sur eux-mêmes : ils ont observé, manipulé parfois, on leur a fait confiance, on leur a parlé comme à des adultes... "Ainsi donc, on peut me considérer comme quelqu'un de capable". Et au retour, leur scolarité au collège leur apparaît comme une étape vers autre chose, cette vie d'adulte qui du coup, leur fait moins peur... En 5ème, ils devenaient pénibles, leurs échecs répétés commençaient à les figer dans une image très négative de cancre... Et la 4ème, ce dispositif alternance, soudain les ouvre au monde professionnel, à ce qui fait la vie d'adulte, à cet emploi auquel ils accèderont un jour...

    Y a-t-il un meilleur moyen de prévenir le "décrochage " que de donner un sens à la scolarité au collège ? Est-ce que le référent "décrochage" fera mieux que nous au sein du dispositif alternance pour raccrocher des gamins qui en ont juste assez de passer un temps infini assis sur une chaise sans en comprendre la raison ?

     

    Le problème de fond niché dans cette suppression, c'est encore, doublé du manque de confiance en l’enseignant, ce fâcheux adepte de l’élitisme méritocratique, le principe problématique du collège unique : on suspecte les enseignants de reléguer les élèves difficiles dans des voies de garage qui les priveront de l'acquisition du socle ; or le bénéfice est ailleurs : les trois-quarts des 4èmes qui sont en alternance cette année, iront en 3ème générale avec une idée bien plus précise de leur projet d'orientation, ils ne subiront pas en fin d'année de troisième le choix de leur parents ou de leurs professeurs en lieu et place du leur, ils vivront la troisième de façon apaisée car ils sauront se projeter. S'ils le souhaitent, ils pourront à nouveau choisir l'option en 3ème, mais, de façon très personnelle, très souvent, ils l'abandonnent parce qu'ils n'en ont plus besoin : le travail de discernement et la méthode pour l'effectuer sont acquis...

     

    Et pour ceux qui sortent de 4ème alternance, et qui auront 15 ans d'ici à la fin de l'année, quelle chance que ce dispositif les ait préparés avec efficacité, à l'éventualité du choix d'un DIMA « dispositif d'initiation aux métiers en alternance », anciennement nommé pré-apprentissage, qu'ils effectueront en parallèle au CFA (centre de formation des apprentis) et chez un patron. Et si la crainte est qu’on laisse sortir du collège de futurs apprentis mal outillés pour devenir de bons citoyens, pourquoi ne pas imaginer alors, que des enseignants du collège de référence dans lequel ils restent inscrits puisqu'ils n'ont pas 16 ans, continuent à leur dispenser des cours, afin qu'ils préparent, s'ils le souhaitent le Brevet des Collèges, ou au moins qu'ils puissent valider le socle nécessaire pour l'obtenir ?

     

    Cela coûterait un peu, il est vrai... Cela ferait reculer les limites si bien figées de l'EN : des profs sortiraient du collège pour aller enseigner au CFA, en tirant au passage pour eux-mêmes le plus grand bien, celui du décloisonnement qui est la condition d'une certaine liberté... Plutôt que de maintenir dans un système qui ne leur convient pas les élèves décrocheurs, pourquoi ne pas décrocher des profs qui iraient quelques heures enseigner ailleurs ?

     

    La suppression du dispositif alternance est encore une preuve flagrante du détricotage, une majorité suivant l'autre, de ce qui marche au profit d'usines à gaz (référent décrochage), dont on anticipe la suppression à terme, pour économie. Ce dispositif dans lequel nous sommes plusieurs à nous être investis et formés avec bonheur depuis 4 ans est une chance pour créer des ponts et des passerelles entre les lieux d'enseignement et de formation, entre le collège et les entreprises, entre le présent des élèves et leur avenir... C'est dans ces marges de liberté que l'école se renouvelle, invente et crée du neuf, des envies, des possibles. Les élèves décrocheurs nous poussent, nous, enseignants, à nous remettre en cause et à sortir de nous-mêmes : les placer entre les mains de référents dédiés n'est pas une mauvaise chose, mais elle ne nous dédouanera pas de chercher des chemins exempts d’idéologie, pour que ces gamins qui se perdent dans l’institution, puissent trouver un sens à leur vie et une place dans la société.