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Réformer ici et ailleurs : un cas d'école

La ville de Châlons n’a pas réformé sa carte scolaire depuis 1986 alors que sa population n’a cessé de décroître. Les dotations d’Etat sont en baisse. Les militaires quittent la ville. Le candidat à la mairie de Châlons l’avait annoncé pendant la campagne : le nombre de salles inoccupées à Châlons justifie qu’on ferme des écoles.

Les arguments ci-dessus sont connus. Ceux des parents qui se mobilisent à travers force pétitions et pages facebook le sont également : enfants déstabilisés, ville méprisée, éducation en danger.

Que faire ?

Faire autrement, certainement !

Dans un monde idéal, celui dont je rêve (mais qui n’est pas irréel) la ville aurait mis sur la table les contraintes qui sont les siennes. Contraintes budgétaires mais aussi contraintes éducatives. Car enfin, les élus le sont pour faire réussir leur ville et la réussite d’un territoire passe par la qualité de formation de sa jeunesse. Parmi ces exigences éducatives, la ville se serait donc attelée à la réalisation d’un projet éducatif global pour la période 2015-2018 avec la nécessité de penser la complémentarité des établissements en terme d’offre éducative et la volonté d’accompagner l’effort des enseignants pour former des enfants châlonnais maîtrisant les fondamentaux et respectant les bases de la vie citoyenne. La réforme de la carte scolaire visant à davantage de mixité sociale aurait fait également partie de la réflexion à mener.

Evidemment, la ville aurait consulté en premier lieu les instances hiérarchiques de l’Education Nationale : Rectorat, Inspection pour signer le partenariat initial. Actuellement, l’Education Nationale valorise énormément les dispositifs innovants. Puis elle aurait invité les représentants de parents de toutes les écoles châlonnaises à travailler autour de ces contraintes. Elle aurait aussi associé l’ensemble des directeurs et des enseignants volontaires à la réflexion.

Une série de réunions de travail aurait eu lieu, étalée sur un an environ, partant du diagnostic (atouts faiblesses) à la définition partagée des besoins et des objectifs établissant même la grille d’évaluation annuelle permettant de mesurer les effets de la réforme. Les points de vue des usagers, enfants, parents, enseignants auraient pu être énoncés, chacun disposant d’une facette de la vision de l’ensemble.

Avec les élus, chaque école se serait interrogée sur la pertinence et la possibilité de fusionner avec un autre établissement. On aurait pu faire intervenir un enseignant chercheur spécialisé sur les questions d’hétérogénéité et de mixité sociale. Dans certains cas, les parents d’élèves et l’équipe enseignante auraient fait le pas spontanément, comprenant qu’il est nécessaire de dépasser l’intérêt individuel pour rejoindre l’intérêt général, comprenant aussi que les propositions de regroupements scolaires vont dans l’intérêt de tous les enfants. Dans les cas de résistance plus grande, la négociation aurait pu se résoudre par la proposition d’une spécialisation attractive : l’école untel ferme et fusionne avec telle autre dans laquelle tous les enfants pourront pratiquer la spécialité « cirque » grâce à un partenariat avec le CNAC. (l’idéal étant, afin d’encourager la mixité sociale, d’encourager la création d’une spécialité dans chaque école, notamment à travers le potentiel constitué par les heures dégagées pour la réforme des rythmes scolaires) Et dans les cas vraiment difficiles, la ville n’aurait pas hésité à échelonner sur plusieurs années les fermetures.

Au terme de ce processus, le consensus aurait été trouvé et la décision aurait découlé sans heurt. Les personnes se seraient senties respectées et la ville aurait marqué des points dans la co-construction d’un projet fédérateur et entraînant les volontés et les énergies. Au terme de ce processus, des habitudes de travail en commun auraient été prises, des dialogues noués, des envies suscitées.

 

Ce qui s’est passé

Au lieu de s’inscrire dans cette démarche participative, plus longue, mais de mon point de vue plus efficace à long terme, plus responsabilisante et plus respectueuse, la ville a fait travailler le cabinet Compas, elle a externalisé le diagnostic pour pouvoir mieux s’en prévaloir et gagner du temps. Forte de cette analyse d’experts, elle est allée faire face courageusement aux équipes sur chaque école pour leur expliquer quels étaient le vrai chemin et la marche à suivre, compte tenu des contraintes budgétaires.

Mais la ville qui raisonne en gestionnaire oublie que les Châlonnais sont des êtres de chair, dotés en outre de capacités de raisonnement, et qu’ils sont attachés non seulement à leurs écoles, mais aussi à leur territoire ! Leur expliquer de l’extérieur qu’ils vont perdre l’armée, la Région, les services déconcentrés de l’Etat, après toutes les fermetures d’entreprises de ces dernières années, passe encore ; mais quand c’est la ville elle-même qui  décrète que les écoles aussi vont disparaître, les Châlonnais ne peuvent y voir qu’une acceptation alors qu’on leur promettait la résistance, qu’une résignation alors qu’on affichait la volonté de mener une bataille sans répit… Il est logique de ce point de vue que la campagne de communication se retourne contre ses commanditaires, on ne peut pas dire blanc à Paris et faire noir à Châlons.

 

Où cela mènera-t-il ?

Il semble que la délibération qui devait être examinée le 26 mars a déjà été repoussée d’un mois. Cependant, il me paraît difficile en un temps si court d’engager un processus tel que celui décrit plus haut. Il va sans doute s’agir, comme d’habitude pour les réformes telles qu’elles se pratiquent en France, de céder sur quelques points pour emporter la plus grande part.

Des frustrations très grandes se sont créées qui ne s’estomperont pas. La violence n’est de toute façon pas un bon mode de gouvernement. Et il n’est plus possible aujourd’hui de trancher de cette façon, autoritaire et arbitraire, des décisions publiques, étant donné le faible étiage électoral sur lequel repose la légitimité des équipes élues. A Châlons, la liste arrivée en tête au second tour à 46,5% des voix est talonnée par le candidat suivant à 42,5% : ce candidat n’a pas de nom, il s’agit de l’abstention. Le candidat élu a donc fait 46,5% des voix de 57,5 % des électeurs…

Dans ce contexte, regagner la confiance du citoyen, de l’électeur, est une entreprise qui doit concentrer tous les efforts des élus. On nous dit qu’on y arrivera en réussissant. Je suis convaincue pour ma part que c’est par une transformation radicale du mode de la gouvernance des politiques publiques, guidée par des démarches de conduite du changement, qu’on peut y parvenir. Surtout dans le cas d’un territoire sinistré comme l’est celui de Châlons où la désespérance ne pourra reculer que par l’expérimentation de démarches nouvelles, innovantes, qui rendent la fierté à une population associée à un effort d’ensemble et pionnière dans l’invention partagée d’un nouveau mode de développement. Ce territoire est en transition, c’est le moment de tester d’autres façons de faire pour les labelliser et les modéliser.

Et d’après les récentes mobilisations, l’organisation dont ont su faire preuve les parents d’élèves, la volonté qu’ils ont déployée pour inventer des projets alternatifs, pour monter des dossiers, susciter des rencontres, se mettre à réfléchir ensemble, se coordonner entre écoles… d’après ces éléments qu’il ne faudrait pas comprendre seulement à l’aune d’une volonté de contestation gauchiste (on a vu comme l’opposition s’est greffée tardivement au mouvement), il semble qu’un grand nombre d’habitants de Châlons serait prêt à entrer dans cette démarche. Et peut-être même à dépasser leurs revendications individualistes/passionnelles de préservation d’un pré carré/sentimental ?

Alors, Chiche ?

 

Commentaires

  • Merci pour ce texte qui exprime si clairement - et positivement - ce que pensent de nombreux Châlonnais qui aiment leur ville !

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