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Pour Mayranush GRIGORYAN

Je publie ici, avec l24-bis.jpg'autorisation de son auteure, la lettre ouverte écrite par Marie-Nicole AZEMA, responsable rémoise de l'ACAT (Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture) relatant l'expulsion en Tchéquie de Marianouch, une dame arménienne de 76 ans, dans la journée du mercredi 4 avril 2018.

A chaque fois que c'est possible, il faut témoigner de ces faits d'inhumanité qui se produisent en France, dans notre République, et donc en notre nom.

J’entendais, ce matin, Monsieur le Premier Ministre débiter sur France Inter son discours bien rôdé sur l’humanité et la fermeté de l’accueil de l’étranger en France. J’accuse mon pays et ses responsables  d’un flagrant délit d’inhumanité. Puisqu’il ne me reste que ma voix pour crier, je veux dire ce dont j’ai été témoin, à Reims, hier 4 avril 2018.

 

Nous l’appelons Marianouch.  Née à Amasya, en Arménie, le 15 mars 1942, elle a aujourd’hui 76 ans. Epouse d’un militaire, elle-même professeur de Russe, Madame Grigoryan a mené une vie paisible dans son pays jusqu’au décès de son époux. Sa situation s’est alors dégradée rapidement. Elle a dû abandonner le logement qu’elle occupait, et a fait l’objet de pressions pour quitter son pays. Elle a dû payer très cher le billet d’avion, avec, sur son passeport, un visa tchèque qu’elle n’avait pas sollicité. Elle a été accompagnée à l’aéroport. Attendue à Roissy, elle a été acheminée vers Reims, où elle s’est trouvée, le 13 août 2017, débarquée au parc St John Perse, à la nuit tombée. En détresse profonde, elle a été hospitalisée le 15 août à l’hôpital Maison Blanche, à Reims, mais a dû, après 10 jours d’hospitalisation, rejoindre l’hébergement précaire sous tente, au parc St John Perse, proche du CADA, jusqu’à ce qu’on l’oriente provisoirement vers une chambre d’hôtel.

 

Lorsqu’elle est allée déposer sa demande d’asile, Mayranush était en état de stress total, affaiblie physiquement, et épuisée moralement. Elle  n’a pas su expliquer sa situation : Mayranush a une fille unique, Margarita Serobyan, vivant elle-même à Reims où elle a rejoint son époux. Malheureusement, Margarita était absente de Reims lorsque sa mère y est arrivée. Margarita attend depuis plus de 2 ans une autorisation de séjour en France, au titre du regroupement familial, son mari ayant un titre de séjour, et travaillant en France.

 

Selon les dispositions de la loi, Marianouch a été « dublinée » vers la Tchéquie, décision transmise lors de sa convocation à la Préfecture de Châlons en Champagne le vendredi 2 mars. Elle a refusé de partir vers ce pays où elle ne connaît personne, où elle n’a pas déposé d’empreintes, n’y ayant jamais mis les pieds, même en transit aérien. Assignée à résidence, elle se rend donc chaque jour, du lundi au samedi, à l’hôtel de Police pour signer. J’observe que l’assignation à résidence est contestable dans les 48 h qui suivent la notification. A la veille d’un week-end, elle est de facto opérationnelle, pour qui n’a pas le contact instantané avec un avocat.

 

Mercredi 4 avril 2018, j’accompagne Marianouch et sa fille à la Cimade, où deux bénévoles cherchent avec nous comment aider cette femme en détresse. Nous tentons d’en appeler au préfet, nous référant à la clause humanitaire de compassion inscrite dans la loi.

 

Pendant que je rédige la lettre, Marianouch se rend à la consultation du Professeur Kaladjian, médecin psychiatre au CHU de Reims. Le médecin rédige une attestation confirmant l’état de stress intense lié à la situation administrative de la patiente, et lui fixe un nouveau RV. Ensuite, sans avoir eu le temps de déjeuner, Marianouch se rend pour la signature quotidienne au commissariat central. Là, elle est attendue, pour un transfert immédiat au CRA de Metz, et un vol à l’aube du lendemain pour la Tchéquie. Ce qui fut fait. Transférée à Roissy, Marianouch a quitté le territoire français ce matin à 6h20. Ni le certificat médical, ni la détresse d’une vieille femme, ni les larmes de sa fille, ni la compassion d’aidants impuissants ne sauraient enrayer la machine administrative !

 

INHUMANITE, c’est bien ce que je viens de constater, dans le dernier épisode de la vie bouleversée de Marianouch. Septuagénaire moi-même, et ancienne enseignante comme elle, j’ai conscience que j’aurais pu connaître ce même sort : eux, c’est nous !

 

La loi en préparation m’inquiète au plus au point.  

Je n’y vois pas l’ombre de la fraternité inscrite dans la devise républicaine !

Envisager l’avenir ne devrait-il pas nous conduire à regarder les visages de ceux que des malheurs de la vie ont fait dériver vers nous ?

 

Reims, le 5 avril 2018

 

Marie-Nicole Azéma

           

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