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Sur la réforme du collège

Le débat fait rage, les passions se déchaînent, les œillères et les prismes de lecture identifient les tenants de l’école-comme-ci, de l’école-comme-ça. Peut-être pourrait-on se réjouir que le collège déclenche une telle floraison de mots, que tant de "grands esprits" aient des choses à dire sur ce qu’il doit servir. Mais si le constat rabâché des dysfonctionnements du collège est dans toutes les bouches, je n’entends nulle part dans la sphère politique de propositions de réforme et de changement vraiment convaincantes. Ce n’est pas de pétitions de principe ni de grandiloquence dont nos élèves ont besoin aujourd’hui, mais de se sentir embarqués dans une aventure collective qui les dépasse et dont nos gouvernants dessineraient les cartes et donneraient les perspectives. Ces cartes, ce cap n’existent pas. Il est fort à parier que le bricolage continue. Comment réformer l’école sans projet de société ?

La réforme proposée par Najat Valaud-Belkacem part d’un constat justifié quoique durci après événements qui ont marqué la minute de silence ayant suivi les attentats du 7 janvier (l’ensemble du personnel enseignant s’est senti très mal à l’aise face aux accusations portées envers l’école républicaine et ses défaillances conduisant à la faillite de la morale et à production de terroristes potentiels. A ce sujet, et sous forme de parenthèses, les différentes affaires suspectant l’ancien chef de l’Etat révèlent me semble-t-il des questions bien plus embarrassantes de morale républicaine et justifient sans doute pour une plus grande part, la perte de crédit dans l’autorité qui nous pose problème au quotidien dans nos classes)

Le diagnostic met donc en valeur les inégalités maintenues par le collège, l’aspect monolithique de l’enseignement, l’ennui des élèves, le manque de préparation aux enjeux du monde actuel. En tant qu’enseignante de collège, confrontée à la démotivation, au manque de travail et à l’échec d’un trop grand nombre de nos élèves, je ne peux qu’abonder dans ce sens.

Les conditions de l’exercice de notre métier se sont considérablement dégradées ces dix dernières années

-du fait d’un hiatus important entre le niveau réel des élèves et l’exigence des programmes,

-du fait d’une hétérogénéité croissante des élèves dans la maîtrise des compétences de base,

-du fait également d’un recul de l’investissement des élèves (qui n’est pas dû qu’à la structure des enseignements proposés au collège, c’est un leurre de croire que par ses seuls pouvoirs l’école peut résoudre les problèmes de concentration, motivation, intérêt des élèves –cf supra)

-du fait pour finir de la surcharge de missions annexes au demeurant administrées sans réellement susciter l’adhésion du personnel enseignant (du conseil école-collège, en passant par le plan des métiers et formations (PIIODMEP), par l’enseignement/évaluation de l’Histoire des arts, par la nécessité d’introduire les supports informatiques dans l’enseignement jusqu’à la mise en place du socle et de sa kyrielle de cases à cocher).

 

Cette réforme permet-elle de lutter contre les inégalités ?

Je ne reviendrai pas sur les polémiques idéologiques relayées par la presse ces dernières semaines. Je partage évidemment les inquiétudes concernant la suppression des langues anciennes (vaguement rattrapées par la ministre qui accepte le maintien de l’option, en réalité très fragilisée au bout du compte : perte d’heures et dotée au bon vouloir des établissements). Je partage également les craintes de mes collègues d’allemand dont le sursis ne tenait qu’à la mise en place des classes bilangues (dont ils avaient cependant fait une vraie force) et qui vont devoir partager leur service entre deux, trois ou quatre établissements désormais. Car, comment penser que deux heures de plus en classe de 5ème pour les effectifs d’élèves qui choisiront l’allemand (deux classes à prévoir sur six chez nous), suffiront à compenser la perte des horaires (6h en tout) de la classe bilangue, d’autant plus qu’une heure de LV2 est perdue sur les niveaux 4ème et 3ème par rapport à l’horaire actuel?

A l’instar des politiques et intellectuels critiques de la réforme, je m’insurge contre la mauvaise foi de l’argumentaire qui consiste à stigmatiser ceux qui font des choix éducatifs pour leurs enfants et à dénoncer l’ « immobilisme » des « bien-pensants » et des « privilégiés » qui auraient détourné le système scolaire à l’usage de leur progéniture afin de les maintenir dans la caste dominante. Comme enseignante, je suis parfois très perplexe sur la situation des bons élèves (qui ne sont pas forcément issus de classes sociales privilégiées) dans certaines classes très médiocres où ils perdent du temps, de l’énergie, où ils sont méprisés, moqués, ou contraints, pour exister, de se mettre au diapason.

Le choix de l’exigence pour tous est bien plus républicain que celui du renoncement pour tous qui encouragera nécessairement des départs vers le privé d’enfants dont les parents voudront maintenir une haute qualité de transmission. Et on ne jettera pas la pierre ni à ces parents soucieux, ni aux établissements privés dont l’éthique consistera à cultiver l’exigence et, grâce à leur marge de manœuvre plus large, à proposer les enseignements qui vont disparaître ailleurs.

Des témoignages précieux et médiatisés de professeurs de lettres notamment, attestent de la richesse de proposer un enseignement des langues anciennes dans des établissements difficiles de banlieue. (Augustin d’Humières) Et comme enseignante de français, je dois reconnaître que les valeurs et repères transmis par la culture antique et classique sont à la fois exigeants et essentiels à la construction personnelle des élèves souvent bien fragilisée par un environnement familial très peu sécurisant.

En réalité, ce qu’il faudrait généraliser, ce sur quoi il faudrait porter l’effort et l’exigence est anéanti par la réforme. Parce que tous ne peuvent pas faire de latin, il est proposé de supprimer le latin (ou de l'intégrer petitement aux enseignements de français, ou de le ravaler au rang de « domaine d’étude» cantonné aux EPI). C’est selon moi, à l’inverse qu’il faudrait raisonner. A ce propos, je juge dramatique l’assimilation du choix d’enseignement optionnel à un contournement ségrégatif du système. Il existe des élèves pauvres qui font du latin, qui entrent en classe bilangue et qui choisissent l’option « euro » ; le désir d’apprendre n’est pas l’apanage des riches, loin de là. C’est faux et dangereux de laisser croire que la réforme consiste à déshabiller les riches de leurs « options ségrégatives » pour mieux doter les pauvres et lutter contre l’échec scolaire. La lutte contre l’échec scolaire ne peut pas consister à supprimer des enseignements mais à stimuler l’ensemble des élèves pour qu’ils aient envie de s’en emparer. Malheureusement, la négligence dans ce domaine étant très ancienne, il est plus facile aujourd’hui de renoncer (et de masquer par de faux arguments, un choix de priorités budgétaires dans un contexte de rigueur) que de remettre des moyens qu’il faudrait considérables pour démocratiser ces enseignements, d’autant plus que les priorités pour construire l’école du futur sont ailleurs : plan numérique et nouvelles technologies, forcément coûteuses à court terme. Les riches auront toujours le choix, quand les pauvres ne l’auront plus, voici la réalité.

 

Cette réforme permet-elle de résoudre les questions posées par le diagnostic, c'est-à-dire de mieux former les élèves et d’entraîner les enseignants sans qui rien n’est possible en matière de changement éducatif ?

Une première analyse jugera sympathiques voire intéressantes les autres mesures proposées : il s’agit de mettre en place de l’accompagnement éducatif pour consolider les fondamentaux (3h en 6ème / 1h dans les autres classes), il s’agit de proposer des petits groupes pour favoriser le travail partenarial et collaboratif, il s’agit enfin de donner du sens aux enseignements par la pratique de la pédagogie de projets et l’interdisciplinarité. Telles sont les mesures phares martelées par la ministre depuis le début de la présentation de la réforme et transformées en éléments de langage au fil des polémiques.

Nous avons besoin effectivement de travaux en projets, nous avons besoin de donner du sens aux enseignements et nous avons besoin de pallier les lacunes des élèves par des temps spécifiques d’aide et de remédiation. Qu’y aurait-il donc à redire des dispositifs proposés ?

D’abord, le fait que l’ensemble de ces ajouts se fasse quasiment à moyens constants prête à suspicion. Ce ne sont pas les 4000 recrutements supplémentaires qui nous permettront d’étayer correctement ce qui doit l’être. (On connait par ailleurs les difficultés de recrutement de la profession qu’il faudrait revaloriser d’urgence pour la rendre attractive – ce n’est pas une fable de dire que nous souffrons d’un déclassement qui se traduit concrètement par une baisse significative de notre niveau de vie depuis 10 ans)

4000 équivalents temps plein répartis sur 7100 collèges, cela ne représente qu’une dizaine d’heures prof supplémentaires par collège, c'est-à-dire une vingtaine de demi-groupes ou dizaine de quart de groupes. Il est évident que les heures d’aide personnalisée prévues par la réforme  seront effectuées, pour la majeure partie des élèves, sinon en classe entière, du moins en grands groupes, puisqu’en vertu du collège unique et de l’égalité républicaine, elles concernent tous les élèves quel que soit leur niveau. (La réforme prévoit 3h par classe en 6ème, 1h dans les autres niveaux : chez nous, dans mon collège elles représenteront en tout 25 heures semaine en classe entière, donc 50 heures en demi-groupes et 100 heures en quart de groupe – ces heures profs ne seront évidemment jamais financées !)

Par conséquent, il se produira vraisemblablement la même chose que pour ces dispositifs déjà initiés au lycée : il sera impossible d’individualiser et donc de faire progresser les élèves, les heures d’aide (prises sur les heures de français et de mathématiques notamment en 6ème) finiront par être des heures classiques d’enseignement.

Car les heures des nouveaux dispositifs (quoi qu’en dise le ministère) sont prises sur les volumes horaires des disciplines et il paraît forcément dommageable aux enseignants concernés (qui manquent déjà de temps pour transmettre l’essentiel) de rogner sur leurs horaires d’enseignement disciplinaire pour administrer ces heures d’aide personnalisées qui n’auront de personnalisées que le nom. (L’exemple du Petit Pierre sur le site du ministère est à ce titre confondant de naïveté : Pierre qui a du mal à comprendre les consignes va passer un trimestre en groupe classe avec le prof d’HG (pas forcément celui de sa classe d’ailleurs) qui travaillera des consignes issues d’énoncés de différentes matières et tâchera de faire progresser Pierre qui, on le devine, a des difficultés en lecture, et cela, en même temps que Julien qui est capable de résoudre l’exercice simplement en lisant la consigne.)

Ce dispositif ne prend finalement pas en compte l’hétérogénéité des élèves : si on veut la combattre, il faut concentrer les moyens sur les élèves qui ne maîtrisent pas les fondamentaux et leur réserver les « petits groupes » que la ministre ne cesse d’évoquer dont l’affichage est clair sur le papier mais dont on ne voit pas réellement comment s’effectuera la mise en place. J’ajoute que les enseignants les mieux à même d’aider leurs élèves sont ceux qui enseignent devant la classe de ces mêmes élèves. Il m’est arrivé de faire des heures de soutien à des élèves qui n’étaient pas les miens, et j'ai pu constater les limites de l’efficacité de la remédiation dans ce cadre. En effet,  les élèves ont besoin pour s’impliquer, de la confiance et de la durée de la relation nécessaire pour la créer. La réforme, par le jeu des volumes horaires, mettra forcément des professeurs devant des élèves qu'ils ne compteront pas dans leurs classes.

Ensuite, il est regrettable que ces dispositions de la réforme qui vont contraindre l’enseignant à modifier sa façon de transmettre et d’enseigner par la pratique du travail collaboratif, par le montage de projets, par la transformation de méthodes d’apprentissage (« mieux apprendre pour mieux réussir », apprendre à apprendre), par le recours aux outils numériques, ne s’accompagnent pas (ne soient pas anticipées en réalité) par une vaste campagne de formation interne continue. L’indigence de la formation initiale et continue des professeurs est un scandale contemporain. Alors que les missions se diversifient et se complexifient, alors que la recherche sur les méthodes pédagogiques ne cesse de progresser, aucun impératif de formation n’est formulé à l’égard des enseignants qui, dans le meilleur des cas, se forment laborieusement par eux-mêmes. En tout cas, ils n’y sont ni contraints, ni stimulés. Ce point fait écho au déficit de gestion des ressources humaines dans l’Education nationale. On exige sans cesse des professeurs des modifications substantielles des conditions d’exercice de leur profession sans les accompagner, ni même les contraindre. Ainsi, il existe des enseignants qui n’ont pas coché une case du socle commun depuis sa mise en circulation en 2005 et à qui personne n’a jamais demandé aucun compte (La grille du socle aux intitulés parfois abscons est un outil difficile à utiliser dans la pratique quotidienne, d’autant plus que son évaluation nécessite d’être couverte par l’ensemble des matières et donc répartie entre collègues d’une classe sans temps de concertation prévus pour cela). On impose des dispositifs sans formation, on ne contrôle pas la réalité de leur mise en place, on n'évalue pas leur pertinence, et on en change tous les 5 ans...

On peut déjà parier que pour mettre en œuvre cette réforme du collège 2016, les chefs d’établissement qui bénéficient d’une marge de manœuvre, autrement nommée « autonomie » (terme impropre selon moi) auront tendance à s’appuyer sur les enseignants volontaires et ouverts à l’expérimentation, et laisseront les autres poursuivre leur travail comme avant. En réalité, le mode d’organisation hiérarchisé (la réforme édictée d’en haut sans vraie prise avec le terrain) nuit à l’évolution. Or, la réforme de l’éducation nationale est nécessaire et chaque professeur en est conscient et l’appelle de ses vœux. Mais la conduite du changement s’organise. C’est à une révision de la politique de gestion globale et personnalisée des ressources humaines qu’il faut se confronter pour cela. La pédagogie de l’ «empowerment » est un terme à la mode pour désigner la capacité de l’élève à s’approprier son univers pour agir sur lui. On aimerait que les professeurs, qui se sentent souvent déclassés et mal considérés, soient eux-mêmes les sujets centraux d’une telle ambition…

 

Quelle est la cohérence de cette réforme?

François Dubet vante la réforme en "avou[ant] qu’elle est plutôt bonne" car elle permet de maintenir le collège unique tout en différenciant. Je le rejoins sur l'idée que la réforme tente de constituer une forme de synthèse entre deux organisations possibles du collège.

D’une part, elle juxtapose au lieu de transformer. Elle propose une sorte de mixte, comme si on avait voulu ménager les sensibilités des uns et des autres, entre  les idées des tenants d’un enseignement républicain centré sur les savoirs, et celles des tenants (que l’on nomme parfois « pédagogistes ») d’un enseignement plus tourné vers l’élève (pour schématiser). En effet, le volume d’enseignement  « traditionnel », théorique où l’élève s’ennuie est contrebalancé par une sorte de parenthèse plus ludique donc motivante, constituée par le projet pratique, transdisciplinaire. D’un côté les cours où on continuera de bayer aux corneilles et de l’autre un espace ludique pour travailler autrement ?

De la même façon, je m'interroge sur la part d’autonomie (20%) laissée au chef d’établissement (guidé par le conseil pédagogique) pour mieux s’adapter au public et au territoire et dont on peut déjà anticiper qu’elle posera un certain nombre de problèmes d’entente et de concurrence au sein des équipes. En effet, comme énoncé précédemment, les nouveaux dispositifs pourront ne pas concerner tous les enseignants, et en même temps, il faudra faire des choix parmi les projets d’EPI proposés. Sur quels critères seront-ils effectués? Autrement dit, qui sera favorisé? On peut craindre que la réduction constante des dotations de fonctionnement ne conduise les chefs d’établissement à faire des choix relevant plus de la gestion parcimonieuse des moyens que de l’ambition culturelle. La pratique du chantage est à redouter, certains collègues pour maintenir leurs heures devront accepter de compléter leur service d’enseignement « classique » par une participation « exagérée » aux dispositifs, les détournant de leur but premier. Sous le prétexte d’une intention louable (meilleure adaptation des politiques d’établissement aux publics et aux territoires) on risque de dégrader la qualité d’enseignement et les conditions de travail des personnels.

A vrai dire, personne n’est dupe et la querelle des Anciens et des Modernes à laquelle nous assistons montre bien que la réforme, dont les défenseurs étaient beaucoup moins nombreux que les critiques,  jusqu’à ce que le débat se crispe à nouveau depuis 3 jours sur le clivage droite/gauche, manque de clarté dans la vision de l’école que se doit de proposer une Nation.

Le ministère ne choisit pas de changer de modèle. Il ne propose ni de faire tomber les cloisons des salles et le carcan des groupes classes, ni de passer des niveaux aux cycles avec la possibilité de maintien dans le cycle et d’évolution scolaire progressive par paliers, et déconnectée de l’âge de l’élève, ni de modifier clairement  le statut de l’enseignant pour qu’il devienne un accompagnant de la construction des savoirs, ni de transférer les financements de l’éducation aux collectivités locales, ni de laisser le chef d’établissement piloter totalement son collège. Mais il introduit en manière d'affichage une petite dose de tous ces aspects dans la réforme : petits groupes, cycles, coanimation, autonomie…

Puisqu’il n’est pas question pour le ministère de changer de modèle et que la volonté semble de préserver le modèle républicain d’éducation à la française, alors, pourquoi ne pas assumer ce choix courageux en donnant aux élèves les moyens de l’exigence et de la cohérence pour tous. Point n'est besoin pour cela de dispositifs innovants : il s'agit simplement d'alléger les classes à 18 élèves maximum au collège, de rendre attractive la profession en la revalorisant et en formant les enseignants aux méthodes pédagogiques alternatives (Freinet, Montessori, Steiner, etc.) et de conserver l’ambition des contenus disciplinaires tout en maintenant une éducation vraiment nationale, c'est-à-dire offrant les mêmes objectifs d’acquisitions pour tous.

Le risque de la mise en place de cette réforme c'est, en effet, qu'elle permette d'"acheter la paix sociale" dans les établissements en faisant croire à l’élève qui obtiendra de meilleurs résultats dans les enseignements transversaux parce qu’il s’y sera davantage impliqué, qu’ils lui ont permis d’acquérir les compétences nécessaires pour poursuivre sa scolarité dans un lycée général non réformé. S'il est nécessaire de valoriser les réussites des élèves, il faut se garder de les leurrer. Pour apprendre et progresser, ils ne peuvent pas se dérober devant l'effort. Et il faut le leur répéter !

La motivation est un élément essentiel de la réussite scolaire. A ce titre, je continue à m’insurger contre la suppression pour garantir le collège unique, des dispositifs « alternance » et DP3 qui permettaient aux élèves en difficultés et en perte de motivation,  de travailler de façon très précise et sérieuse leur orientation par les stages et la découverte des métiers. A leur place, le parcours de découverte des métiers désigné par un acronyme informe, le Piiodmep, sera distillé dans les cours et les EPI, autant dire négligé… Il est inadmissible que dans le même temps où on proclame la nécessité d’adapter l’école au monde qui l’entoure, on continue à discréditer les voies plus techniques et pratiques. Si le refus de l'orientation précoce est motivée par le souci de la formation la plus complète possible du citoyen, alors, il faudrait explorer la piste d’un partenariat entre le collège et le CFA pour que l’acquisition du socle puisse être poursuivie dans les classes de DIMA (préapprentissage) et que les élèves qui le souhaitent puissent passer le brevet des collèges tout en découvrant par l’alternance, le monde professionnel.

 

A quoi doit servir l’école ?

J’écoutais tout à l’heure en podcast une émission Répliques « La République des lettres existe-t-elle encore ? » dans laquelle Alain Finkielkraut (dont je ne partage pas toutes les idées loin s'en faut) faisait dialoguer Régis Debray et Marc Fumaroli. L’émission exposait un constat assez négatif sur l’évolution de la culture classique et de la place de l’intellectuel dans nos sociétés. En dernière analyse, on y a évoqué le rôle de l’école et de la formation comme déterminant dans cette dégradation de la pensée contemporaine, rivée à l’immédiat et à l’instant. Pour les deux penseurs d’opinion politique contradictoire (Debray est de gauche, Fumaroli de droite) le consensus existe sur la conviction que l’école doit être sanctuarisée, c'est-à-dire détachée de l’utilitarisme et du consumérisme. L’un des intervenants citait un passage de Camus dans lequel l’auteur vantait l’apport de son instituteur M. Germain en utilisant le mot « exotisme » : le contact avec les œuvres littéraire, avec la culture plus généralement, a été pour Camus l’occasion d’un  « voyage » et d’une sortie de soi, de son propre univers qui a permis la construction humaine et spirituelle de l’individu engagé qu’il est devenu.

Il me semble que l’insistance dans le texte de la réforme du collège sur la nécessité de l’adaptation de l’école au monde contemporain correspond à une conception de l'école opposée et rejoint en ceci le désormais célèbre et malheureux questionnement de N. Sarkozy sur l’utilité de faire lire La Princesse de Clèves à notre époque…

Je rêve pour ma part d’une école qui donnerait du temps à l’élève pour construire ses repères, sa culture, ses récits, son imaginaire, en dehors de toute considération petitement citoyenne. Je m’explique : lorsqu’on lit les intitulés des EPI « développement durable, santé, citoyenneté », on a l’impression d’une instrumentalisation de l’école au service de « lubies » (propagande?) contemporaines qui résulte de choix idéologiques et masque la réalité d’autres problèmes. C’est pour cette raison que le développement sur le site du ministère de l’exemple d’EPI portant sur la caricature m’a fait bondir. Je ne nie pas la nécessité du développement durable ou de la réflexion sur la liberté d’expression, bien sûr, mais je pense que c’est par le champ des disciplines et par le biais de la culture qu’on doit transmettre ces exigences  de respect et de tolérance. C’est en maintenant l’exigence du contenu et en faisant étudier Voltaire en 4ème qu’on peut faire mesurer la valeur du combat pour des idées. C’est en lisant des mythes antiques dénonçant l’hubris qu’on peut faire sentir les conséquences tragiques du déchaînement de la volonté humaine débridée, sur son environnement.

L’école doit s’attacher à transmettre (dimension temporelle de la transmission, par opposition à la communication qui elle, s’effectue dans l’espace) ce bagage culturel large et ambitieux, et elle ne doit pas le faire en observant par le petit côté moralisant de la lorgnette c'est-à-dire dans une petite perspective citoyenne motivée par la peur du chômage, du terrorisme et du réchauffement climatique, mais dans l’ambition de former intellectuellement et spirituellement des êtres humains charpentés, libres et capables d’efforts, qui auront la capacité de faire des choix raisonnés, responsable et conscients devant les défis du monde à venir. C’est cette perspective arrimée au projet d'une société fondée sur les valeurs "culture" et "formation", qui devrait aiguiller à elle seule la réflexion sur l’égalité des chances afin que TOUS les enfants de ce pays aient la possibilité de vivre leur scolarité comme une parenthèse formatrice où les inquiétants bruits du monde ne pénètreraient qu'a minima, c'est à dire pour y être compris et analysés. Et cetera sequentur...

 

Deux liens importants, les deux meilleures tribunes sur la réforme selon moi :

Décryptage précis de la réforme d’un point de vue structurel (sans idéologie) d’un enseignant de lycée

Espoirs et scepticisme d’une enseignante de collège

 

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