Slam écrit pour la mobilisation du 25 février
Moi, j’ai déjà une carte d’identité
Parce que je suis né du bon côté
Alors dégage !
Moi, j’ai galéré, bossé comme un taré
Et je suis au chômage
Alors dégage !
Moi, mon mari m’a quitté
J’arrive pas à remonter
Alors dégage !
Ouais, c’est vrai les étrangers
Ils viennent tout nous piquer
Les allocs, les pensions, les attestations
Alors dégage !
C’est des profiteurs, des fraudeurs, des arnaqueurs
Des looseurs, des dealers, des voleurs, DES ERREURS
Alors dégage !
Et pis ils ont trop d’enfants
Qu’ils élèvent pas, pour en faire des délinquants
Alors dégage !
Ca gueule dans les quartiers
Dégage !
Ca égorge du mouton dans les cités
Dégage !
Ca brûle des voitures le 14 juillet
Dégage !
Ca terrorise les bons français
Dégage ! Dégage ! Dégage !
Les nôtres d’abord ! Préférence nationale !
La misère du monde, ici, c’est pas un scandale !
Mais :
Ma carte d’identité, je l’ai pas méritée
Du boulot, j’en ai plus, mais toi, t’en as pas non plus
Et dans ma vie, les drames, ça m’a servi
Parce que maintenant, je crois :
Que c’est pas parce qu’on est mal qu’on doit
En vouloir aux autres…
Ni rejeter l’Autre…
Ya plus malheureux que soi
Je me répète parfois !
On peut se révolter, en vouloir au monde entier,
Taper sur des murs, se faire un visage dur
Qu’est-ce que ça change ?
Qu’est-ce qu’on y gagne
A nous stocker dans le cœur la hargne ?
Le différent n’est pas l’ennemi
C’est trop facile de s’en prendre à lui
La caricature, l’enflure, la dictature
De la pensée
Ces réflexes de colère
Qui nous rendent amers
Faut les brider, les empêcher, les rejeter
Parce qu’ils nous font dérailler,
C’est pas dans la déraison
Qu’on peut trouver la solution.
Alors viens,
Oui, toi, viens :
Viens me donner ta différence
Comme une chance
Comme un éclat qu’on prend sur la violence
Viens me dire dans ta langue les mots
De l’amitié, de la fraternité
Qui dépassent les frontières de nos intimes pauvretés
Viens bousculer en moi ma peur de n’être pas toi
Et rends-moi la conscience de ma chance,
Pas seulement la chance de pouvoir manger chaque jour à ma faim
De profiter du régime spécial dû aux européens
Mais la chance de vivre dans un pays libre, en France
où on ne classe pas encore (tout à fait) les gens selon leur appartenance.
Viens m’enrichir de ta culture
Viens m’apprendre ta littérature
Et que la rencontre de nos vies, de nos esprits
Ouvrent d’autres possibles, d’autres futurs, un autre monde…
Un monde…, ah non
Pas un monde où on a du fric, du pognon
Et la certitude d’avoir raison.
Mais un monde où il n’y a pas d’autre priorité
Que celle de la fraternité.
Mais un monde où le lien, le tissu des relations
Le partage des différences,
Font progresser la paix et la confiance
Un monde où on se sent fort d’abord parce qu’on est ensemble
Et que, prenons le risque, parfois, on en tremble.
Ensemble pour dépasser les faux systèmes
Qui engendrent la peur et la haine
Qui font croire que la terre est une arène
Où s’affrontent les civilisations,
Les races et les traditions.
Viens dans la confiance, viens dans la patience,
Viens me donner ce qui nous distingue,
Viens me révéler ce qui nous rend proches,
Viens m’apprendre les limites de ma richesse
Et les forces de ta pauvreté…
Toi, l’étranger, toi, ma rencontre,
Toi, ma chance, ma belle préférence
Toi, mon frère, Blendon.