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J-13 L'Europe et la méthode communautaire

On oublie trop souvent que nous ne sommes pas le fruit du hasard et que d’autres avant nous se sont battus pour que nous ne connaissions pas les mêmes difficultés qu’eux. Le 9 mai 1950, Robert Schuman, un mosellan né allemand d’un père français puis allemand de langue luxembourgeoise, un homme de la frontière douloureuse, a prononcé un discours devenu célèbre dans le Salon de l’Horloge au ministère des Affaires Etrangères. Cette déclaration qui aboutira en 1951 à la création de la CECA, Communauté Economique du Charbon et de l’Acier, résume l’esprit des fondateurs : « L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre. » Il s’agissait bien, au travers d’une coopération économique telle que celle qui devait accélérer la reconstruction de la France et de ses voisins frontaliers, de mettre en commun des ressources pour garantir la paix. Par la reconnaissance d’intérêts communs, la France et l’Allemagne acceptent d’enterrer la hache de guerre séculaire qui les oppose. Cette politique de la main tendue en remplacement de l’opposition des forces a marqué jusqu’ici toute l’Histoire de la construction européenne qui, par le système de la pondération des votes, notamment, s’est jusqu’ici prémunie de toute domination des puissants sur les faibles. Monnet, un autre fondateur définissait ainsi le projet européen : « c’est la fusion des intérêts des peuples européens et non pas le maintien de l’équilibre de ces intérêts ». En d’autres termes, voici nommée la méthode communautaire ! Un de ses ressorts importants est l'originalité des ses institutions : conseil, commission, parlement qui ne reposent pas sur la séparation des pouvoirs puisque le volet législatif est assumé par deux organes distincts, mais permettent la recherche de l'intérêt général européen avant la satisfaction de l'intérêt national. En effet, l'initiative législative laissée à la Commission ainsi que le mode de décision par la pratique du consensus auquel elle est soumise, font de cet organe une clé de la méthode communautaire, celle qui garantit la confiance et le respect de l'intérêt européen. L'autre ressort essentiel est l'abandon du vote à l'unanimité pour privilégier celui à la majorité qualifiée qui ne bloque pas les processus de décision et évite que des arrangements entre états soient conclus en dehors du cadre de l'Union.

La circonscription Grand Est où je suis candidate derrière Nathalie Griesbeck et Quentin Dickinson peut venir illustrer le refus de proportionnalité simple qui garantit paradoxalement la représentativité juste : elle  recouvre 5 régions administratives et 18 départements, le 25 mai prochain nous allons élire 9 députés. Ces 9 députés représentent 5,8 millions d’habitants, autant qu’un pays comme l’Autriche qui compte à lui seul 18 représentants. On constate ici par l’exemple la règle selon laquelle la taille ne fait pas la force dans l’UE, puisque la France compte 74 députés européens (sur 8 circonscriptions) ce qui la pénalise proportionnellement, mais empêche en réalité sa domination sur des pays plus petits. Les fondateurs se souvenaient en effet que toute humiliation nationale nourrit les germes de la guerre.

Les Pères de l’Europe ont voulu réaliser la paix par le droit, voilà pourquoi les traités européens, dont le premier, le Traité de Rome en 1957, établissant les règles de fonctionnement de la CEE, ont une valeur particulière et sont difficiles à remettre en cause pour ceux qui veulent s’en éloigner. Sortir de Schengen ou abandonner l’euro, aujourd’hui, équivaut à renoncer à certains éléments fondamentaux des traités européens, ceux-là même qui justifient l’existence de l’Union Européenne, et en réalité à en menacer considérablement les fondements, donc à la détruire. Née du droit pour garantir les intérêts des citoyens européens, l’Union fait aussi croître les valeurs européennes de paix et de liberté : ne sont en effet admis dans l’Union Européenne que des nations qui fournissent des garanties en matière de fonctionnement démocratique et de respects des droits de l’homme, ce qui a représenté une motivation non négligeable d’évolution pour les candidats à l’intégration, tout en élargissant la zone de paix et de respect du droit en Europe.

Les populistes s'assoient sur le trésor de l'Europe : assumant résolument leur "nationalisme", ils veulent privilégier la France, son identité, ses valeurs, ses habitants, ses intérêts, en affirmant que l'appartenance communautaire les mettent à mal. Ils utilisent à cet effet les arguments court-termistes, du portefeuille vide avant la fin du mois, de la menace migratoire, de la perte d'influence nationale. Ce faisant, ils contestent les fondements même de la construction européenne, pire, ils les bafouent. Là où on avait prévu de faire parler le faible d'une façon aussi audible que le fort, de se départir d'un peu de sa superbe pour esquisser le pas vers l'autre, de renoncer au rapport des forces pour rechercher le compromis, de se décentrer de ses intérêts propres pour envisager ceux d'une communauté, d'aller vers la paix en somme, ils proposent tout l'inverse ! Et l'on comprend pourquoi Mitterrand affirmait en son temps que "Le nationalisme c'est la guerre !" En tout cas, c'est l'opposé de la méthode communautaire. A l'heure où des formes d'économie collaborative émergent, où les modes innovants de production et de consommation sont mis à l'honneur, où on veut dépasser les folies de l'ultra-libéralisme pour frayer d'autres passages, alternatifs et plus fraternels, souvenons-nous que ce qu'ont tenté les Pères fondateurs dans les années 50, n'était pas bien éloigné de ce que nous sommes nombreux à chercher aujourd'hui et puisons à la source l'esprit de la révolution tranquille mais efficace qu'ils ont amorcée. Écoutons combien l'intuition de Schuman évoquée dans Sur L'Europe peut encore nous porter aujourd'hui :
"Les dures leçons de l'histoire ont appris à l'homme de la frontière que je suis à se méfier des improvisations hâtives, des projets trop ambitieux, mais elles m'ont appris également que lorsqu'un jugement objectif, mûrement réfléchi, basé sur la réalité des faits et l'intérêt supérieur des hommes, nous conduit à des initiatives nouvelles, voire révolutionnaires, il importe - même si elles heurtent les coutumes établies, les antagonismes séculaires et les routines anciennes - de nous y tenir fermement et de persévérer".

En dépit des oiseaux de mauvais augure et des tenants véhéments de la destruction totale ou partielle, tenons-nous y fermement et persévérons ! 

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