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Confronter l’éthique et la politique : une invitation à penser la complexité

41DZ4B5H1JL__SS500_.jpgAu MoDem de la Marne, parce que nous voulons imposer la chance d’une parole citoyenne sur la politique, nous nous sommes lancés dans l’organisation d’un cycle de cafés démocrates sur la question de la possibilité d’adopter une conduite éthique en politique. Question essentielle aujourd’hui, au vu de l’actualité troublée. Question périlleuse par la nature des concepts confrontés. Nous ne voulions pas que la discussion se limite à une série de réflexions abstraites (la présence d’un intervenant « spécialiste » ne nous paraissait pas souhaitable). Nous ne voulions pas davantage que l’échange se réduise à une déploration, celle du « tous pourris ».

La pratique politique est complexe, en effet, et se heurte à des limites qui nécessiteraient de se poser constamment la question des principes qui la fondent ; mais ces limites sont aussi et dans le même temps ce qui empêche que soit pris le temps de la pensée, du recul :


- limites dans le champ de la décision tiraillé entre le possible et le souhaitable, entre l’idéal et le principe de réalité, entre la promesse et les conditions financières et humaines de sa réalisation, entre la gestion de l’urgence et les perspectives programmatiques…


- limites dans le champ de la communication tiraillé entre l’obligation de garder la main, de faire parler de soi sur la scène médiatique et celle d’informer, d’expliquer, de débattre, d’argumenter; entre l’instantané inhérent à la communication médiatique actuelle et l’exigence d’une profondeur de la pensée, d’un décryptage pédagogique des politiques publiques.


- limites dans le champ de l’exercice du pouvoir tiraillé entre la volonté de le conserver, l’éloignement des réalités ainsi que la solitude qu’il suppose et la cohabitation avec les contre-pouvoirs (opposition, société civile, citoyens, lobbys, réseaux, pouvoirs économique, financier, judiciaire, médiatique).


Alors au cœur de ces tensions qui ne sont pas nouvelles, quelles sont les conditions d’une conduite éthique en politique ? Rappelons au passage que l’éthique contrairement à la morale constituée, reçue ou élaborée, interroge les fondements des règles morales et pose donc la question du choix des valeurs et des principes.


Quelques moyens ont été suggérés que j’ai envie ici de lister pour m’en souvenir ! J’ai en effet introduit l’échange avec optimisme en rappelant que nous n’étions pas aux responsabilités, et que, sans doute, c’était une bonne façon de s’y préparer que de se poser la question de la conduite à tenir lorsque, peut-être, sans doute, incontestablement, nous y parviendrons.


En vrac et en interaction :

- l’équipe, le travail de concert, le soutien de compagnons fidèles, capables de rappeler à celui qui exerce le pouvoir les valeurs qui fondaient son engagement,

- la limitation du nombre de mandats et le non-cumul pour que le travail de décision ne soit pas conditionné par la perspective de la réélection, pour que les collusions d’intérêt soient moins denses, pour que le partage de la responsabilité permette des respirations et du renouvellement,

- l’exemplarité de l’élu qui permet la confiance,

- l’humilité de l’élu capable de s’amender, de reconnaître ses erreurs et surtout d’expliquer ce qu’il veut faire et ce qu’il fait, sans démagogie,

- l’éducation morale des jeunes, destinée à poser clairement la distinction du bien et du mal dans une perspective humaniste d’intérêt général,

- l’éducation citoyenne à l’école et dans la société, éducation destinée à rendre la conscience de l’importance du vote, à développer les velléités d’engagement des citoyens (service civique), à les former à la recherche de la vérité,

- l’audience plus importante accordée aux contre-pouvoirs afin de permettre des consultations et des rééquilibrages,

- le souci institutionnalisé de la prise en compte des générations futures dans la décision politique,

- la création d'un commissaire aux conflits d'intérêts, comme le propose M. Hirsch (lire)

- le plan (sans qu'on en revienne à la planification), la vision d'ensemble, la hauteur de vue, la gestion à long terme en fonction d'un projet de société.

 

La liste est belle et longue, les principes généreux, mais les participants de nos cafés démocrates marnais ne s'y trompent pas, qui concluent souvent de façon assez négative la réunion, affirmant que : "Tout ça, c'est sans doute pas demain la veille!"

 

C'est qu'il faut sans doute, en dernière analyse, ajouter à ce catalogue l’impératif citoyen d’interpellation du politique au travers de collectifs, d’actions citoyennes, de pétitions… charge revenant à chacun, comme c’est la loi en éthique, d’infuser, par son engagement, l’idée que le respect d’un code de bonne conduite n’est pas totalement ringard et dépassé…

Pour conclure en écho à la complexité du problème, un extrait d’une de mes lectures du moment qui éclairant le débat d'un jour neuf, peut permettre de ne pas se laisser rebuter par l'aporie, de rompre avec le pessimisme et de s'ouvrir à un espoir.

« La complexité n’est pas une recette pour connaître l’inattendu. Mais elle nous rend prudents, attentifs, elle ne nous laisse pas nous endormir dans l’apparente mécanique et l’apparente trivialité des déterminismes. Elle nous montre qu’on ne doit pas s’enfermer dans le contemporanéisme, c'est-à-dire dans la croyance que ce qui se passe maintenant va continuer indéfiniment. On a beau savoir que tout ce qui s’est passé d’important dans l’histoire mondiale ou dans notre vie, était totalement inattendu, on continue à agir comme si rien d’inattendu ne devrait désormais arriver. Secouer cette paresse d’esprit, c’est une leçon que donne la pensée complexe. »
                                              Edgard Morin, Introduction à la pensée complexe, Points essais (P.110)


La pensée complexe ne serait-elle pas alors l’autre nom de l’éthique : refus du déterminisme, de l’enlisement dans l’habitude du petit arrangement ou la résignation simpliste et paralysante du tout blanc, tout noir? Acceptation et affrontement de la tension?
Et adopter une conduite éthique, ne serait-ce pas autre chose alors, que se préparer à l’inattendu, à ce qui surgit quand on se départit des réflexes d’accointances et des peurs, et qu’on crée ainsi la place pour que quelque chose de neuf émerge, quelque chose qui, introduisant le désordre, permette d’établir autrement les règles du jeu?


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