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Parfois c'est insupportable...

Je me faisais aujourd'hui cette réflexion en méditant sur les derniers rebondissements de nos déboires centristes. Nous sommes, comme l'idiot dans le proverbe, fixés sur le doigt... Mais,  je ne me gargarise pas de la moindre originalité en la matière: ce mal stupide touche toutes les formations politiques, surtout en période d'investiture...

Or, le péril est si grand dans le ciel derrière le doigt, ici et ailleurs: Loppsi 2, les arrestations d'enfants étrangers par la police dans les écoles, les déficits, les folies de la finance, le terrorisme ancré dans la conscience amère des inégalités, et Areva au Niger, et Ben Ali que les tunisiens n'entendront plus...

Tout cela qui va mal, et nous, bien idiots, avec nos ridicules problèmes d'étiquette, de préséance: qui aura la plus grosse?... Que de temps perdu à ne pas changer le monde, n'est-ce pas?

Alors, comme souvent quand je peine en plein marasme, parce que  la politique, il faut bien le dire, parfois, c'est insupportable, je me venge, et j'écris: 

LETTRE à M. LE PREFET DE HAUTE-LOIRE

 

Monsieur,

 

C'est en tant que citoyenne française que je me permets de vous adresser ces quelques mots. Nous avons appris par voie de presse qu'un jeune garçon nommé Vazgen, d’origine arménienne, avait été arrêté vendredi dernier dans l'enceinte de son école par des policiers en civil.

« Arrêté » ! Comment peut-on être arrêté en France à six ans, M. le Préfet ? Et comment peut-on l’être lorsqu’on est, comme tout enfant de six ans y a droit ici, en train de recevoir l’enseignement nécessaire à sa construction intellectuelle, à sa socialisation, à son intégration ?

Aujourd’hui, je vous écris aussi comme enseignante, Monsieur, car j’ai une haute conscience de l’importance de ma mission et que dans mes classes, je fais une place particulière à l’enfant différent, et que je cherche surtout à faire de cette différence, une richesse pour le groupe entier des élèves qui me sont confiés en début d’année.  Parmi eux, il y a des élèves en difficultés sociales, des élèves souffrant de handicaps et aussi des étrangers.

Où mes élèves peuvent-ils apprendre mieux que dans ma classe, au long d’une année scolaire qui se construit au pas à pas de nos rencontres,  la tolérance, le respect de l’autre, l’humanisme et ce goût pour la différence qui enrichit d’être appréciée ? Où ailleurs que dans ma classe mes élèves peuvent-ils se forger l’idée que la société est riche de l’accueil qu’elle réserve à ceux qui ont besoin d’aide ? Où peuvent-ils s’approprier l’idée que la société est riche de ces êtres fragiles qui nous rappellent combien nous sommes chanceux, et combien cette chance s’agrandit de ne pas être conservée jalousement comme un trésor d’avare.

Vendredi, dans cette classe, M. le préfet, lorsqu’ils ont vu partir Vazgen qui continuait à sourire, les enfants ont assimilé une autre idée, qu’en tant qu’enseignante, je suis peinée qu’on ait pu leur transmettre : celle que la société peut retrancher, amputer d’elle-même un corps étranger et resserrer le rang autour de ceux qui font partie du même organisme.

Je ne vous demanderai rien d’autre que de restaurer dans l’esprit des enfants de cette classe l’idée que notre pays est capable de cette grandeur-là, contraire au repli et à la peur de l’autre. Donnez à Vazgen le pouvoir de montrer cela à ses camarades de classe, Monsieur, et vous aurez contribué, mieux que toutes les leçons d’éducation civique que nous pouvons dispenser dans nos classes, à imposer dans leur esprit l’idée forte et belle de ce que peut être la fraternité humaine, évoquée par notre devise : en face de nos mots, Monsieur, posez le geste.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments respectueux et de ma plus haute considération pour les fonctions de représentation qui sont les vôtres,

Marie-Pierre BARRIERE, professeur de Lettres à Châlons en Champagne

 

Et à ceux qui passent par là, bonne année, belle année d'engagé!

Et n'oubliez pas qu'au-delà du doigt, le péril est grand dans le ciel. René Girard dit ça dix fois mieux que moi dans Achever Clausewitz, mais ce sera l'objet d'une autre note... Il dit aussi comme Edgar Morin qui le tient lui aussi d'Hölderlin que "Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve."

Je nous souhaite donc de ne sortir du péril qu'au prix d'un engagement forcené pour la paix, la justice, la beauté et la vérité; changer l'insupportable du monde en grâce est à ce prix.

 

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