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Lettre à un jeune candidat

Préambule

Cette lettre fait suite au commentaire sur une de mes dernières notes, de Florian Glay, jeune candidat PS aux Cantonales dans le canton de Monthois.


Je vous remercie Monsieur d’avoir pris la peine de répondre à mon article du 6 décembre dernier qui faisait lui-même suite à l’émission de télévision La voix est libre, au cours de laquelle j’ai eu le plaisir de vous rencontrer. Je suis ravie, sincèrement, que votre commentaire nous donne l’occasion d’entrer en échange et même en débat, puisque le combat politique repose sur la confrontation d’idées et de points de vue.


Je ne souhaitais pas, en rédigeant cette note, entrer en polémique ; mes propos ne doivent pas vous « préoccuper » à ce niveau par conséquent. Je sais pertinemment que vous êtes jeune et que vous n’étiez pas rompu à ce genre d’exercice. Selon l’ancienne méthode, vous vous en êtes d’ailleurs plutôt bien tiré et, il m’est arrivé à plusieurs reprises lors de l’émission d’admirer votre sens de la répartie et votre mordant.


Je ne souhaite pas non plus que notre échange se résume à un affrontement opposant des représentants de partis. Je suis bien consciente que ma situation et mon statut m’engagent vis-à-vis du Mouvement Démocrate (et puisque, vous rappelez que Le MoDem prend sa source dans l’UDF, nous en avons effectivement hérité la liberté de vote et de parole), mais lorsque je suis sur mon blog, je suis Marie-Pierre Barrière, engagée à divers titres en politique, dans ma profession et dans la société civile. C’est donc à Florian Glay, citoyen engagé, que je souhaite avant tout m’adresser.


Un nécessaire changement


Cher Florian Glay,


Nous sommes d’accord tous les deux : il faut que les choses changent, en d’autres termes, la politique française ne doit plus se faire comme avant.


Pourquoi ? Parce qu’on voit bien que son fonctionnement est sclérosé, peu représentatif, et surtout, qu’il n’a plus la confiance des électeurs ni des citoyens. D’ailleurs, si vous n’êtes pas élu en mars prochain (mais attention, cela ne signifie pas que je souhaite que vous perdiez ;-)), vous pourrez affirmer dans votre argumentaire de fin de second tour que vous vous inclinez devant votre adversaire, que vous reconnaissez qu’il a mené une campagne courageuse mais qu’il doit avoir le triomphe modeste ce soir, car une victoire fondée sur l’abstention est en définitive une bien piètre victoire… Les chiffres représentent parfois une maigre consolation, mais une consolation quand même, au moins celle de se dire que demain, quand on aura vraiment réussi à convaincre et à faire évoluer les choses, les citoyens abstentionnistes redeviendront des électeurs.


Il ne devrait pas y avoir selon moi d’autre combat politique que celui-là aujourd’hui. Une démocratie dans laquelle le vote est méprisé est d’une fragilité dangereuse : cela signifie que le niveau de conscience civique est dégradé, que le sens du bien commun est en péril, rendant les dérapages, les limitations du droit, les atteintes aux libertés, possibles. Le citoyen doit faire confiance à ses institutions mais qui les connaît aujourd’hui, qui pense encore qu’elles sont représentatives lorsque le conflit d’intérêt, le copinage des élites nuisent tant à la séparation des pouvoirs ?


Pour mener ce combat aujourd’hui, le seul argument du non cumul ne suffit pas. Evidemment, je suis comme vous sur ce sujet, je suis résolument contre le cumul, quel que soit le mandat. Je suis pour la limitation des mandats et, même, pour le retour au septennat. Mais je ne confonds pas l’outil et le sens, le moyen et le principe. Limiter les mandats, pourquoi ? D’abord, pour permettre que la fonction élective redevienne un service rendu à tous et que l’élu cesse d’être un éternel candidat.


Mais la limitation des mandats ne changera rien si nous n’encourageons pas dans nos formations politiques une autre culture, d’autres méthodes, un autre mode de gouvernance, de réflexion, de partage des tâches, de partenariat avec la société civile. Nos partis sont aujourd’hui moribonds, et responsables, pour grande part, de la situation terrible dans laquelle est la démocratie. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de ne concourir que pour obtenir des postes aux élections, nous ne pouvons plus consacrer nos énergies à faire tenir des équilibres internes de courants, alors que la démocratie au dehors est en état de déséquilibre constant, nous ne pouvons plus flatter des egos, laisser les chefs se combattre, alors que le fascisme né de la rancœur est à nos portes.


Je ne suis pas entrée en politique pour être fan, mais pour être militante. Je ne suis pas entrée en politique pour attendre que mon leader gagne, par le jeu d’une alternance, forcément insatisfaisante et facile. Je ne suis pas entrée en politique motivée par une idéologie fabriquée, une doctrine d’évidences marquetées, qu’il n’y aurait qu’à débiter… Je suis entrée en politique parce que je me sens profondément responsable de ce que devient le monde et libre de vouloir et de pouvoir le faire changer.


Contre une politique de l’attente et de la discipline


Aussi, ne puis-je pas me contenter de la politique telle qu’elle se fait aujourd’hui ! Elle ne peut pas avoir ma confiance…


On ne peut plus en effet prétendre aujourd’hui remplacer un système par un autre. Le capitalisme nous a menés au drame des inégalités que l’on sait, le communisme s’est effondré, le socialisme est divisé, le gaullisme dépassé. Nous sommes nombreux à ne plus considérer comme un horizon les systèmes incarnés par les mots en –isme qu’on veut encore nous imposer comme des modèles d’idéologies globales (j’entendais parler ce matin du convivialisme).


Or, le politique fonctionne encore de façon tout à fait archaïque sur la représentation qu’il a de lui-même comme détenteur d’un savoir et d’une clé que les citoyens ne possèdent pas mais à laquelle il doit les conduire à adhérer. Qu’on appelle cela vision, programme, projet, c’est la même réalité : celle d’un futur meilleur. Comprenez-moi bien, l’idéal est essentiel, nous ne pouvons pas nous passer d’utopie et des idées fortes de justice et de bonheur pour tous, mais nous ne pouvons plus nous extraire ainsi de la situation dans laquelle nous sommes (alors que nous en sommes ultra dépendants, en témoigne la faiblesse de nos résistances au néolibéralisme) pour penser ces idéaux du dehors, en technicien qui maîtrise la réponse.


Il y a des choses que nous ne pouvons pas savoir, il faut le reconnaître et ne pas sembler dominer en dépit de l’inévitable incertitude : en d’autres termes l’arrogance en politique (dont nous avons encore eu cette semaine un bel exemple à travers le projet de fusion marnaise de B. Apparu) est un mode d’être dépassé car il se fonde sur des promesses qui seront forcément impossibles à tenir.


J’entendais tout à l’heure sur France Inter Alain Caillé, sociologue, penser les limites d’une démocratie fondée sur la conception de l’homme come homo economicus (it.). La démocratie comme conséquence de la croissance économique est la conception qui a prévalu depuis le XVIIIème siècle. Aujourd’hui, force est de reconnaître que ça ne marche plus, que ça ne marchera plus jamais… Le pouvoir ne peut plus être le lieu du contrôle et on ne peut plus considérer celui sur lequel il s’exerce que comme un consommateur.


Force est donc d’abandonner les promesses qui se traduisent aussi en critiques partisanes de la politique de l’adversaire : ce qu’il a mal fait, je m’engage à le faire mieux, avec plus de moyens, et donc plus de résultats. Le seul produit de ces engagements des politiques qui n’engagent qu’eux-mêmes, c’est le désespoir du citoyen, sa lassitude face aux solutions qui achoppent, son refuge dans l’abstention et dans le vote sanction.


Car la vérité c’est que les postures politiciennes, les plans sur la comète, ne font que renforcer le sentiment d’impuissance du citoyen qui se sent, de fait, brisé par les systèmes, dominé par des forces qui anéantissent sa volonté. La vérité annexe, c’est que les partis politiques aujourd’hui se nourrissent sur la bête de la désespérance en abusant pour certains des arguments populistes, en se gardant bien de prendre le problème à bras le corps, pour les autres, qui utilisent l’abstention comme ressort électoral : moins les gens votent, plus les équilibres immuables fondés sur l’alternance sont préservés.


Prendre le problème autrement : briser les monopoles


Puisque, vous et moi, nous sommes coincés dans la toile d’architectures qui nous dépassent : le néolibéralisme que nous pouvons critiquer sans le vraiment combattre, la vieille politique dont nous déplorons les dérives sans pouvoir les contrebalancer par de vrais changements… Ne nous réfugions pas dans l’illusion de pouvoir mieux faire que nos aïeux quand ils auront daigné nous placer aux commandes, ne cherchons pas leur reconnaissance en nous soumettant vilement aux usages de la répétition : apprends, ensuite, tu agiras.


Travaillons ensemble, dans chacune de nos familles politiques, en fonction des sensibilités qui sont les nôtres, à créer un modèle alternatif fondé sur l’ici-maintenant de l’action. Plotin disait : « L’efficacité de l’acte réside dans l’acte. » En d’autres termes, proposons à ceux qui attendent d’être ailleurs demain, l’exemple de ceux qui agissent ici maintenant. Cela nécessite de SE faire confiance, d’être assuré (sans arrogance) que je suis le mieux à même de juger par moi-même de la situation que je connais. Et que, par conséquent, pour juger de celle de l’autre, je ne puis recourir qu’à l’aide de l’autre, à l’action de l’autre, engagé pour habiter au mieux sa propre situation.


La décentralisation de la réflexion, de la programmation et de la décision sont, partant de là, une nécessité. On ne peut plus se passer de l'implication des citoyens qui sont les mieux à même d'énoncer ce qu'ils vivent et ce qu'ils veulent voir évoluer. On ne peut plus élaborer un programme de façon surplombante sans le consensus né de la consultation. Il faut donc inventer les formes nouvelles de la participation qui permettront à chacun de mettre au pot commun la réalité de sa situation mais pas forcément pour enrichir un projet collectif.

En effet, le projet collectif était jusqu’à présent une somme de parties qu’on tentait d’assembler vaille que vaille. Or, ce n’est pas aujourd’hui dans les programmes politiques que sont les solutions : regardez la force de créativité de l’ESS, regardez le champ extraordinaire de développement de la réflexion sur l’équitable et le bio, regardez les auto-entrepreneurs, les AMAP, les coopératives, les réseaux de coopération, les associations. Et dites-moi si le politique, puisqu’il n’en est pas l’initiateur, peut faire autre chose aujourd’hui qu’accompagner le changement, que donner à ces acteurs l’audience et les moyens dont ils ont besoin pour influer sur le système tout entier. Arrêtons de croire que c’est le politique qui contrôle d’en haut et que le pouvoir est le lieu unique où se modifie la société. Arrêtons les synthèses, nourrissons-nous des solutions locales dont nous n’avons pas forcément la maîtrise comme politiques. Laissons faire et faisons dire.


Car le politique classique qui propose ses solutions classiques pour remédier à la situation qu’il n’habite pas se trompe de chemin : à un modèle, il veut en substituer un autre ; la contestation est pour lui remplacement. Or, la nouveauté vient de la marge, les pratiques alternatives sont en rupture avec l’idée de modèle ; elles ne cherchent pas à imposer globalement ce qui marche, elles se contentent de le vivre. Là où le politique traditionnel attend que ça vienne, elles y vont !


Sommes-nous capables, Florian, de dépasser nos querelles de principes et de consulter largement la société civile pour faire de la zone franche ardennaise, par exemple, une zone d’installation d’activités de cette nature, d’entreprises soucieuses de leur RSE, d'usagers conscients des choix économiques  que fait pour eux leur collectivité? Sommes-nous capables de nous mettre d’accord pour que les avantages fiscaux soient conditionnés et que le développement économique s’effectue de manière raisonnée ? Sommes-nous capables de ne pas nous opposer par principe et esprit partisan à ce qui pourrait marcher sous le prétexte que cela vient du bord adverse ? Pouvons-nous cesser le « système contre système », « idéologie contre idéologie », « arrogance contre arrogance » qui nous fait commettre tant d'erreurs, sommes nous capables, déjà aujourd'hui, de nous mettre autour d’une table et d'étudier ensemble les projets qui font émerger la nouveauté, créent de l’espoir, de l’activité et un autre monde?

En d'autres termes, Florian, Pouvons-nous, VRAIMENT faire de la politique autrement ?

Et avant de conclure, je voudrais formuler quelques voeux pour votre campagne c'est à dire que je vous souhaite très concrètement :


- d’être à l’écoute, de recueillir les aspirations, les déceptions mais aussi les innovations

- de sentir à quel point, comme politique, vous êtes vulnérable, et de vous en souvenir

- d’expliquer sans relâche mais sans céder au raccourci facile du « en face, c’est des gros cons ! »

- de rencontrer les gens qui comptent dans le canton mais aussi ceux qui ne peuvent compter que sur vous pour leur transmettre la passion de l’engagement

- de décaler les perspectives, de surprendre, d’inventer des formes de militantisme qui donnent envie à d’autres de mouiller leur chemise

- de réfléchir, d’analyser au jour le jour ce que vous vivez pour en tirer les enseignements profonds

- d’avoir autour de vous une équipe attentive et constructive pour les bons et les mauvais jours

- de dire merci


Je vous remercie de m'avoir lue. Je vous souhaite donc bien le meilleur pour cette expérience fondatrice, et ce, même si nous sommes adversaires. Je vous adresse, pour finir, mes salutations les plus cordiales.

Marie-Pierre BARRIERE, citoyenne, engagée et déléguée départementale du MoDem de la Marne

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