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Pourquoi il faut choisir

Dans deux jours ce sera terminé... Alors, avant, juste avant la fin, quelques mots de rétrospective et d'analyse à chaud.

Je regrette qu'avec les copains, nous nous soyons fait voler cette campagne électorale. En janvier, pourtant, on était fiers d'être au MoDem. Profitant de l'interstice entre les primaires et la non déclaration du candidat-président, Bayrou montait : 15%, produire en France...

Et puis, le gap... Plus de couverture médiatique, le candidat qui s'obstine dans le sérieux doctoral, les criailleries du gauche-droite, la nullité du niveau des débats... On rame, on attend, on ne sent rien, y a rien qui vient. Le Rivage des Syrtes version post-surréaliste (moins de style-même lenteur).  Les gens ne sont pas méchants, ils aiment bien Bayrou en général mais ils disent soit : "Que fera-t-il au deuxième tour? " soit "Mais il est un peu seul quand même..."

Pourtant, le programme était bien fait : premier livre diagnostic en août, la conf de presse sur le redressement en décembre, trois pilliers puis quatre déclinés en janvier - février dans les forums thématiques, la synthèse sous la forme d'un deuxième livre avec modification de slogan de campagne (l'autre était un peu long) en mars, le 14, jour de la venue de Bayrou à Epernay où on a remis tout çà en offrande à Bernard Stasi.

Ce que j'attendais s'était produit du point de vue du contenu : en novembre, je me souviens d'une Union Régionale où j'expliquai avec un peu de flamme que j'aimais bien l'idée du redressement, que oui, les finances à l'équilibre, c'était décisif pour tenir en respect la spéculation, et changer d'horizon, mais que quand-même, il fallait à un moment envisager de dessiner cet horizon. Redresser mais pour quoi faire ? Quel projet de société ? Quel monde pour demain ? Quand l'Europe ? Quand l'international ? Quand l'écologie ? Quand la communauté personnaliste ? D'Etat d'urgence en Août à La France solidaire en mars, j'ai senti qu'il y avait cette évolution-là... A parfaire et partielle, mais là, tout de même...

Mais au moment où je m'enthousiasmais sur la trajectoire, le 14 mars, j'ai compris aussi qu'on ne gagnerait pas. Le dialogue annoncé avec le candidat à la mairie annexe du Quartier de Bernon à Epernay s'est finalement mué en simple cours magistral d'une heure trente sur les trois pilliers, le même cours que celui dispensé quelques heures auparavant aux journalistes réunis à Paris pour la présentation du programme... Le "style" ne passait pas, la magie de 2007 n'aurait pas lieu, François Bayrou ne susciterait pas d'élan, il était devenu trop vieux...

Les deux candidats principaux ne suscitaient pas grand engouement non plus : je trouvai atroce la voix de Hollande en meeting, comme dopé aux anaphores, bataillant ferme contre l'image du flamby coulant, simulant l'enthousiasme et stimulant la ferveur. Et Sarkozy ne pouvait plus depuis le Fouquet's entraîner au-delà de son propre clan : pour moi et pour beaucoup, il représente une sorte d'erreur historique de la fonction présidentielle, il est grillé, cuit, atomisé comme président depuis le début de son dernier mandat !

Je n'ai évidemment jamais remis en cause mon choix de voter Bayrou et j'ai fait campagne pour lui avec des copains dévoués corps et âme, qu'ils soient ici remerciés. Mais ce que j'ai vite compris, c'est qu'on n'avait pas les outils, vu le contenu complexe du programme, pour gagner des voix faciles. Pas d'anti-l'autre, pas de promesse, pas de "trucs" de com sur l'immigration ou la finance. En revance on avait à profusion du sang et des larmes et un voire deux crans de ceinture en moins... et un choix de renouvellement des méthodes de gouvernance que les gens prennent souvent pour un gadget alors qu'il est ultra-décisif pour entrer dans le monde qui vient. On avait aussi quelque chose de bon sur un nouveau projet de société vraiment nouveau, mais alors là, c'était carrément de la philo avec suspiscion prévisible d'accusation de "bisounourserie". Il aurait fallu s'inviter pendant une heure chez chaque électeur pour avoir le temps de casser les préjugés, et une autre heure pour aller aux contenu... Mais ça, non plus, on ne les avait pas.

Alors tranquillement, on s'est acheminé vers la fin, sans illusion, voire dans l'écoeurement latent Le soir du premier tour a simplement permis de prendre acte sans surprise ni horreur. On râle contre les sondages mais on les suit quand même anxieusement... Ils servent à éviter les décompensations : on est restés dignes le 22 avril à la Brasserie de la République. On a même réussi à scander "Nicolas Président" quand la Presse est passée. Hommage à Nicolas Schmit, le meilleur président d'équipe de coordination qui soit ! (Des bises, mon Nico)

L'entre-deux tours a été une nouvelle épreuve : quand on regarde de loin l'acharnement des combattantsd dans la cour de récré alors qu'on a milité pour la raison et pour l'union ; quand on entend les arguments obscènes de la droite qui s'ultra-droitise alors qu'on milite au quotidien pour la tolérance, la complexité et l'ouverture ; quand on n'entend rien que du silence en provenance de la gauche se gardant de trop parler de peur de gaspiller le capital alors qu'il y aurait des choses révolutionnaires à dire et à tenter... Et qu'on n'a encore moins les moyens de faire entendre sa voix... On appréhende la mâturité des grecs anciens et à quel point le cynisme et le stoïcisme sont des postures essentielles à la survie mentale

Bayrou a eu raison d'attendre pour se positionner. Il a eu raison de ne pas donner de consigne de vote globale, il ne l'aurait pas pu de toute façon (notre famille politique ne l'a jamais souffert), et chacun a raison chez nous de voter ce qu'il votera dimanche. Parce que nous nous faisons confiance les uns et les autres, nous savons que, quel que soit le choix, il aura été longuement pesé et mûri en fonction de convictions et d'un sens profond de la responsabilité.

Pour ma part, je ne saute pas de joie. Je voulais voter blanc mais comme dit ma copine Florence, il y a des moments où il convient de faire passer l'éthique de la responsabilité avant les convictions (elle est forte en grec ancien ma copine Florence, elle connaît l'aidôs). Sarkozy n'a pas été désavoué par l'UMP malgré sa drague éhontée et exponentielle de l'électorat frontiste, il fallait en prendre acte : la droite a changé.  Depuis 5 ans, les thèmes insupportables de l'assistanat, de l'immigration ont été périodiquement utilisés comme arguments de communication, comme chiffons populistes. Ils ont légitimé l'ancrage du racisme de confort et mon engagement difficile au Réseau Education Sans Frontières... Je sais bien, moi, comme prof de lettres, que les mots ont un pouvoir, et qu'on n'use pas impunément très longtemps des glissements de sens qu'on leur fait subir par opportunisme. Et je suis tellement et si viscéralement affectée, quand j'entends que d'anciens élèves votent ou militent au FN...

Hollande est devenu du coup beaucoup plus fréquentable. Son programme économique est intenable, mais il le sait et Cahuzac l'a répété. Taper sur Bayrou à droite parce qu'il cautionne la gabegie prévisible est une hérésie : il n'a renié aucune de ses déclarations sur la catastrophe qu'il annonçait le 4 février dernier en cas d'application du programme socialiste. Il a affirmé qu'il serait dans l'opposition.  Pas de blanc-seing ! Et comme il dit toujours ce qu'il fait et que je sais qu'il n'a rien négocié (même si ça me fait mal pour la famille), ça me suffit. (honte à ceux qui le traitent d'opportuniste, il n'a rien à prouver en la matière, et cela fait 10 ans qu'il opportune, importun et isolé)

L'économie, pour moi aussi, n'est qu'un moyen au service d'un projet de société : de façon générale, je place les valeurs avant l'argent, il est donc cohérent de ne pas privilégier l'argument économique pour me déterminer. Le projet socialiste contient évidemment des idées contraires à mes convictions en matière de bioéthique notamment. Je n'ignore pas la possibilité de certaines dérives provoquées par la généralisation de pratiques autorisées mais toujours insuffisamment encadrées. Je ne suis pas certaine du tout  non plus qu'en matière d'éducation, le PS réussisse à construire l'école dont je rêve, lui qui a organisé la faillite du système en refusant de traiter les conséquences néfastes de la démocratisation scolaire... Les déclarations de Peillon ne me laissent rien espérer de transcendant.

Mais, comme démocrate chrétienne, le projet de société de Hollande (même si je connais les méfaits de la démagogie liée à l'idée d'égalité) me semble plus propice à construire le vivre-ensemble que celui de Sarkozy fondé sur la fermeture, le repli, la division des forces et l'accroissement avéré depuis 5 ans des inégalités au profit des riches. On ne peut pas prôner la responsabilité (valeur traditionnelle de la droite) comme force de cohésion sociale et légitimer une forme de déresponsabilisation morale face aux pauvretés collectives, aux scandales humains de notre monde : la responsablité ce n'est pas seulement celle des pauvres qui abusent du système...

Et comme politique, je me sens plus proche d'une social-démocratie faite d'équilibre, de développement responsable et de modération que du néoconservatisme arrogant à l'américaine. Je suis donc assez satisfaite d'une part que Bayrou rende réalisable par son choix, même si j'eusse évidemment préféré qu'il en fût lui-même le centre, l'idée d'union nationale et centrale qu'il a répétée avec constance ces dernières années. Et d'autre part,  sans me faire aucune illusion (un bon centriste n'est pas un centriste mort mais un centriste désabusé...), j'imagine bien un peu tout de même que le programme amorphe mis en avant par le candidat de gauche va subir des évolutions liées à la crise qui vient, il faudra peser encore pour construire. En refusant de sacrifier les idées de sa campagne et du Centre pour une nouvelle traversée du désert de 5 ans, Bayrou se montre aussi un chef de parti responsable (quoiqu'en disent les amis qui l'ont aimé, puis destesté, aimé encore et qui le détestent à nouveau...)

Ce que demain dira, on ne sait pas... Beaucoup d'incertitude et le vertige, un peu, tout de même, face au vide... "Il faut trembler pour grandir". On va mourir, mais à refuser le risque, on meurt aussi. Le MoDem était le parti de la traversée du désert, et le désert, ce n'était pas encore le vide. Le vieux manteau dont les pans s'écartaient, faisant craquer les coutures, ne se tient plus du tout. On entre ailleurs, là où c'est neuf, totalement... Courage et confiance ! (et pardon pour le lyrisme de fin de note ;-))

Commentaires

  • Marie-Piere,
    J'ai beaucoup apprécié la pertinence de ta relecture de la campagne de notre candidat en ses différentes séquences : montée lente mais continue de la percée initiale, la captation médiatique des deux principaux candidats lors de leur entrée en lice, la longue et vaine attente d'un second souffle créateur d'adhésion à sa personne, la déception annoncée du premier tour,
    l'épreuve de l'entre deux tours. L'envoi d'une lettre aux deux finalistes que tu n'as pas évoquée, lui a permis de rester dans le jeu en faisant connaître les raisons de son choix personnels du "moins mauvais" des candidats(selon l'adage du scrutin à deux tours : "au premier tour on choisit, au deuxième on élimine").
    Merci également de ton explication de vote circonstanciée en faveur de la sociale démocratie à laquelle je suis acquis depuis fort longtemps pratiqué par le docteur Ehrard ministre de l'économie allemande lorsque Adenauer était chancelier sous la dénomination d' "économie sociale de marché".
    l

  • Magnifique billet. J'avais voté Bayrou en 2007, et trouvé qu'il s'était asséché depuis. Ce que tu dis des discours de Hollande est très juste aussi, et du fait qu'il soit devenu le choix évident par élimination. Jeudi soir, en moins de dix minutes, pour son discours, Bayrou a retrouvé une vibration exceptionnelle - mon épouse, qui n'a jamais voté MoDem, a déclaré sur le coup que c'était à en regretter de ne pas avoir voté pour lui au 1er tour. Et je pense qu'il s'adressait autant aux électeurs de Dupont-Aignan qu'à ceux de Mélenchon, non ? Quelle force !
    Sinon, pourquoi dire que c'est fini ? il reste les législatives, et rien ne dit que le MoDem soit happé par la gauche.

  • Merci Pierre et Guillaume. Vos deux commentaires et vos encouragements ont été pour une grande part dans la décision qui m'a conduite à rédiger ma note d'aujourd'hui !

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