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Au sujet de Blendi et Blendon

NOTRE COMBAT

Après 9 mois de lutte, force est de constater que les montagnes que nous nous sentions capables de transporter en janvier dernier, au plus fort de notre indignation, font preuve, au fil des mois, d'une inertie de plus en plus décourageante. Le jeune Blendon Gashi, pour rappel, alors âgé de 10 ans, a été expulsé avec sa famille le 19 janvier 2012 vers le Kosovo, alors même que, via le RESF, s'était mis en place, tardivement, le suivi médical visant à résorber les conséquences d'une tragique hémiplégie survenue à l'âge de 4 ans, suivi médical nécessitant une opération décisive, d'ores et déjà programmée le 21 mars 2012.

Mais cette histoire-là, cela fait presqu'un an qu'on la raconte, dans nos mails, dans nos communiqués de presse, dans nos discours, dans nos tracts, un an qu'on s'obstine à croire que la France va réparer l'erreur intolérable commise sous Sarkozy, un an qu'en silence ou dans le bruit, nous manifestons notre solidarité chaque samedi sur une place passante de Châlons-en-Champagne, à la famille Gashi, désespérée à Pristina, dans une ville où l'avenir pour ces gens est devenu impensable, tant ils craignent le retour de leurs harceleurs, ceux qui ont failli, la veille de leur départ en France, leur kidnapper leurs deux fils jumeaux, afin d'exiger d'eux les rançons que Faton et Pranvera Gashi, dépouillés déjà, ne peuvent plus payer.

Une histoire comme tant d'autres de celles que nous entendons de ces familles accompagnées dans le cadre du Reseau Education Sans Frontières. Tant de larmes, tant d'angoisses, tant de visages creusés par l'épreuve, insupportable, née de la persécution, de la crainte, et ici, du mépris de leur demande de protection et souvent même, de leurs droits, d'abord celui d'être reconnus victimes (et non menteurs, affabulateurs d'histoires qui se colportent pour obtenir l'asile)... Voir la plainte contre des mafieux déposée dans son pays échouer sur les récifs d'une administration corrompue pour se trouver ici, en France, suspectés d'avoir inventé de toutes pièces une histoire abracadabrantesque aux seules fins d'attirer la pitié de juges, hélas, rompus aux manipulations de ces migrants économiques qui utilisent l'asile pour se faire une vie meilleure...

Ce combat, ce n'est pas le mien, c'est celui du Réseau : lors de sa création, le RESF, constitué d'un tissu d'associations, de partis, de syndicats, de mouvements, a adopté une charte fondatrice qui exprime la primauté de l'éducation et de la scolarisation des enfants, droit à l'éducation mentionné dans l'article 28 de la convention internationale des droits de l'enfant. Depuis l'origine, le RESF protège les enfants de parents sans-papiers, afin d'éviter que, à l'instar de Blendon Gashi, ils soient soudain arrachés à leur classe et expulsés. Les membres du RESF considèrent comme une violence insoutenable, que ces enfants accueillis, intégrés, dont la présence constitue une chance pour ceux qui les côtoient, soient soudain remplacés dans leurs classes par des chaises vides.

Ce combat ne se déroule pas toujours ni seulement, dans les salons feutrés des cabinets ou des bureaux, parce qu'il implique un rapport de forces. En effet, même si elle n'est pas systématiquement insensible, "l'administration est toujours la plus puissante". Depuis cette difficile reconduite de la famille Gashi, nous avons appris à mieux connaître le secrétaire général de la préfecture, à passer par son secrétariat pour demander audience, nous ne sommes pas des activistes violents, ni des sauvages. Mais nous ne sommes pas naïfs non plus, et nous savons bien que la protection des droits des familles que nous accompagnons passe parfois par l'utilisation de systèmes d'alerte médiatique, en tout cas par la nécessité d'une veille continue et visible pour leur éviter le très pire.

Et oui, nous avons le droit, nationalement, de crier fortement que nous sommes déçus du peu de changement que la gauche aux manettes instaure dans la politique d'immigration orchestrée par Sarkozy, Besson, Hortefeux, Guéant. Et nous avons le droit de dire, ici, que nos espérances pour la famille Gashi étaient grandes en mai, et qu'elles sont aujourd'hui déçues, encore une fois, et plus cruellement, par ce nouveau refus de visa !

 

ET LE MIEN

Il se trouve qu'aujourd'hui, après deux ans et demi d'activité au sein du réseau, mon engagement est mis en cause. Dans la presse ce jour, via le blog de L'association Ensemble pour Blendi et Blendon depuis samedi soir. On me reproche, de façon explicite, d'utiliser le combat en faveur de Blendi et Blendon pour mettre en valeur mon image médiatique, pour m'"agiter devant les cameras".

Quand on s'engage, on doit se tenir prêts à recevoir des coups, à la mesure de ceux qu'on donne. Et de façon pacifique, j'en donne depuis deux ans : j'en donne quand je crie pour dénoncer l'insupportable de cette expulsion d'un gosse handicapé, j'en donne quand je rédige des communiqués pour protéger des gamins en rétention de la reconduite, j'en donne quand je travaille sur les dossiers de familles pour trouver des voix de régularisation qui vont à l'encontre des décisions de l'administration, j'en donne quand je milite pour un monde plus juste auprès de ceux dont le seul argument est de laisser la misère hors des frontières, j'en donne quand j'interpelle ceux qui dorment ou qui ne savent pas, j'en donne quand je refuse qu'on se résigne autour de moi, j'en donne... et ces coups que je donne, dans le même temps, je les reçois.

Parce que sans cesse, je doute, je doute de ma force, de ma légitimité, de ma capacité à aller bien loin dans la contradiction de cet arsenal juridique que je maîtrise mal, je doute du bien fondé de ce temps passé à me battre et à récupérer du combat, que je ne passe pas avec ma famille et mes enfants, je doute de mes aptitudes à convaincre quand je surprends les regards hostiles et que j'entends les arguments, toujours les mêmes que l'on rabache sans relâche pour faire croire qu'"on ne peut pas accueillir toute la misère du monde", je doute quand je lis les tracts politiques de ceux qui d'emblée sont dans le rejet, le refus, la suspiscion, qui se drapent dans la loi pour s'en faire une carapace... et ces doutes sont lourds, autant que la pression médiatique qu'il faut déclencher parfois, autant que le désespoir de ne savoir que faire ou de mal faire...

Mais il y a deux choses dont je ne doute jamais et qui me font tenir dans ce combat-là qui m'a rejointe plus que je ne l'ai choisi pour le faire figurer sur mon CV :

1) celle du pouvoir et du devoir de la rencontre. Rencontrer les Gashi à travers cette histoire qui est la leur, qu'ils ont accepté de nous partager, en très grande dignité, surmontant la honte de devoir se dire misérables, me donne deux responsabilités majeures : celle de ne pas faire comme si je ne savais pas d'abord, et ensuite celle d'être là et de veiller sur eux, parce que je crois très fort que la rencontre est d'abord une grâce. On ne la décide pas, on la reçoit. La rencontre est le croisement de deux fragilités : celle de Blendon et celle que je ne refuse pas de lire en moi-même, interpellée que je suis par son visage auprès du mien, par son histoire qui croise la mienne. Et cette veille se conclura le jour où je pourrais permettre à Blendon cette réciprocité dans l'échange. Je n'aide pas Blendon, je veille sur lui dans l'attente.

2) celle de la force du Réseau. Je n'y ai pas rencontré que des gens qui pensent comme moi, loin de là, mais des frères, c'est sûr, je dis souvent : "des gens à qui je pourrais confier la prunelle de mes yeux", tant ce que nous vivons ensemble de ce combat désintéressé nous rend proches. Ni les uns, ni les autres nous ne transigeons sur l'essentiel et nous le rappelons mutuellement si besoin, mais nous ne nous jugeons pas, ni n'entrons en rivalité, parce que les problèmes qui nous broient ne permettent pas les déchirures entre nous. Les uns comme les autres, chacun avec ce qu'il peut apporter comme temps, compétences, moyens, nous sommes conscients de servir une cause dont nous savons d'emblée qu'elle nous dépasse par son ampleur et par la force des valeurs qu'elle illustre et qui nous préexistent.

Fragilité, interdépendance, coopération, réseau, antériorité de l'éthique qui détermine l'action, petitesse, humilité : tellement loin de la fièvre médiatique... Croit-on vraiment que ce combat pour les migrants, si décrié de toutes parts, conspué par les commentaires dysorthographiques et haineux sur le site du journal local, soit de nature à me promouvoir sur la scène publique ?

Se placer une nouvelle fois sous le patronnage de Bernard Stasi : écrire L'immigration, une chance pour la France et perdre la présidence de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée Nationale... Moins la victoire que l'honneur !

LA SUITE ?

Alors, doit-on arrêter ces manif pour Blendon Gashi, sont-elles de trop, comme le titre aujourd'hui la manchette publique du Journal L'union et comme le pensent depuis l'origine de notre différend qui ne date pas d'hier, certains membres de l'association Ensemble pour Blendi et Blendon ? En vertu du devoir de veille ; parce que se nouent des relations incroyables, exemptes de gesticulations, sur cette Place Foch résistante du samedi matin ; et parce que depuis leur reconduite, aucun enfant accompagné n'a été expulsé, je ne le crois pas. Mais le Réseau, ici à Châlons, en décidera...

En tout cas, ce combat pour Blendi et Blendon n'est pas achevé : s'ils ne sont pas rentrés, c'est que nous n'avons pas encore tout essayé, et nous nous confions, une fois les forces revenues, au bon génie de notre créativité qui est sans limites, comme on a coutume de le dire, dans le Réseau où la lutte va de pair avec la joie... ;)

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