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J - 23

truie.jpgDans notre série: découverte de l'agriculture dans la Marne, nous avons visité ce matin une maternité porcine, la SCEA Porcibel qui ne compte pas moins de 600 truies pour la production de porcelets. La filière porcine est en danger dans la Marne. A l'origine la SCEA située à St Rémy sur Bussy a été créée par huit agriculteurs qui se sont rassemblés pour mutualiser le naissage des porcs qui nécessite une technique pointue. Après le sevrage, ils reprennent ensuite les bêtes dans leurs exploitations propres pour les engraisser. La Région avait subventionné l'équipement en contrepartie d'une prestation de formation: la SCEA doit recevoir les visites des scolaires et des lycées agricoles.

C'est devenu difficile de faire fonctionner l'élevage porcin: l'établissement n'équilibre pas ses comptes, un jeune associé est sur le point de reprendre sa mise et de quitter le groupement. Jacky, qui nous reçoit explique que certains associés en ont assez, qu'il faut les remotiver systématiquement. Il n'y a actuellement aucune aide pour soutenir la production porcine, ils ne vivent que des prix du marché et une fois que les abatteurs et les supermarché ont pris leur marge, il ne reste pas grand chose!

Pour lui l'avenir de l'agriculture champenoise si on n'inverse pas la tendance c'est l'américanisation! On retourne déjà toutes les prairie sur lesquelles on avait de la vache laitière ou de l'élevage bovin. L'Europe est trop libérale, elle pratique l'orthodoxie pour que les frontières soient ouvertes alors que la Chine et les pays du Nord sont protectionnistes. L'Allemagne, pays traditionnellement attaché à l'industrie développe à nouveau son agriculture en bénéficiant de l'ouverture à l'est et de la main d'oeuvre bon marché et son agriculture souffre moins sur les marchés car elle n'est pas soumise à la grande distribution.

La politique française pourrait faire davantage mais le discours du gouvernement actuel, même si le ministre de l'agriculture semble vouloir défendre l'agriculture, n'est que de façade: il n'y a rien de neuf dans la projet de modernisation agricole. L'articulation de la politique gouvernementale et de la préférence communautaire se fait mal: cette dernière n'est pas tenable avec des productions issues des pays comme la Roumanie, l'Espagne; il faut rétablir la protection aux frontières.

Jean-Marie, colistier qui participe à la visite insiste sur le fait que l'année qui vient est décisive en matière de réorganisation du marché agricole. En effet, si la passerelle ne se fait pas entre Paris et Bruxelles, dans l'anticipation de la réforme de la PAC, des centaines d'exploitations ne percevront plus d'aides européennes et seront contraintes de déposer le bilan. Il insiste sur la nécessité de revenir à une vision humaine et à long terme de l'agriculture.

La Région ne peut pas faire grand chose: son budget en matière agricole est de 1,5% environ... Mais elle se soucie de l'aménagement du territoire et les exploitations qui périclitent influent sur la désertification rurale. Comme en outre, il n'est plus compliqué de travailler seul 250 hectares en plaine céréalière, on risque de perdre encore des habitants, d'autant plus que certaines fermes commencent même à faire de la sous-traitance (prestation de service pour 700 à 800 hectares) sans que l'agriculteur chef d'entreprise ne vive lui-même sur place. Jacky dit que c'est un sujet de dispute avec certains amis qui rachètent toute la terre qui se libère, ce qui engendre une hausse du prix du mètre carré de terre agricole.

Dans le cadre de la PAC, les aides sociales se sont reconverties en aides économiques, les agriculteurs ont dû faire de la productivité mais la grande distribution en confisque tous les gains. Les agriculteurs ont accepté d'entrer dans la surenchère: pour percevoir des aides, il faut grossir, et plus on grossit, plus on perd de l'argent. Le centre d'abattage des porcs est à Orléans, celui de découpe à Cormontreuil! Celui qui veut s'extraire du système et revenir à un élevage classique est considéré par ses pairs comme un extraterreste, mis à l'écart. La vente à la ferme ne fonctionne pas pour la production porcine. Le veau a pu s'engager sur des démarche de labellisation; pour le porc, ce n'a pas été possible, alors que des critères de qualité environnementale et sanitaire devraient entrer en ligne de compte pour définir les coefficients de prix et déplacer les prix de vente en fonction de la qualité. Le porc est devenu de la salaison qui ne coûte rien... (elle ne contient que 51% de porc au minimum), c'est un marché énorme. Il faut faire comprendre au consommateur à quel prix il consomme!

L'agriculture a un immense potentiel de création d'emplois mais aujourd'hui, on ne travaille plus que pour payer le personnel... et quand il  a perçu son salaire, il ne reste plus rien... "A 52 ans, je suis lavé. S'il n'y a pas de jeunes pour reprendre derrière moi, à quoi ça sert tout ça?" conclut Jacky. Et Jean-Marie déplore que leurs pairs ne soient pas plus conscients des mutations agricoles nécessaires: "On a à faire à des enfants gâtés de la PAC qui croient que ça va durer toujours." Or, il rappelle que la PAC a été créée par des visionnaires qui ont su anticiper les évolutions. Du traité de Rome à celui de Lisbonne, il y a peu de changement des traités européens en matière d'agriculture. Or, le phare de 57 n'est plus celui d'aujourd'hui. Il y a un défaut d'anticipation et de vision du politique, on n'a pas su faire évoluer les traités... et la France ne peut plus rivaliser avec des pays comme le Danemark ou les Pays Bas qui défendent leurs propres intérêts et n'ont pas les mêmes normes de qualité.

Merci à Jacky d'avoir pris le temps de nous faire faire cette visite et de nous recevoir si longuement. Nous nous sommes un peu émus devant ces pauvres truies compressées et transformées en usines à produire du porcelet... Nous avons bien compris devant quels choix cornéliens vous étiez placés en terme de survie économique mais aussi de conscience professionnelle. L'agriculture est sinistrée, pas tant par sa situation économique, que par toutes les compromissions auquelles on oblige les agriculteurs qui sont contraints de produire toujours plus dans des conditions qui ne respectent pas toujours l'environnement et la nature...

La marge de manoeuvre des élus régionaux est limitée mais la Région peut favoriser certaines initiatives innovantes en matière d'économie agricole... Seulement, il est tard, et comme demain, nous retournons au cochon oups! au charbon, je poursuivrai ultérieurement cette réflexion sur ce que peut faire la Région pour aider l'agriculture. Je rappelle au passage que l'emploi lié à l'agriculture dans la région représente 50% environ du nombre total des actifs, ce qui justifie qu'on s'en préoccupe!

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